La contrebande, ou « mouvement frontaliers illicites », constitue une menace à la paix et à la sécurité internationale, comme le rappelle le Conseil de sécurité à travers la déclaration présidentielle du 25 avril 2012 (voir le texte de la déclaration). Et, étant « responsable au premier chef » de leur maintien, il se doit de s’attacher à agir contre ce phénomène. Si, indubitablement, la mondialisation a permis au monde d’être interconnecté, facilitant les flux humains et de marchandises, elle s’est accompagnée d’effets pervers, et au premier chef la mise à profit des nouveaux réseaux de communication par des criminels toujours plus inventifs. Limitée au territoire interne, la responsabilité de la lutte contre les trafics incombe à l’État ; au niveau international, la communauté internationale doit se mobiliser.
Une lutte majoritairement sectorielle
Jusqu’à présent pourtant, le Conseil n’a eu à porter son attention à ce problème que de manière sectorielle, lorsqu’il entrait dans le cadre d’une problématique plus générale, mais n’avait jamais appréhendé le phénomène dans sa globalité. Ainsi peut-on trouver de très nombreuses formes de trafics transfrontaliers : trafic de stupéfiants, trafic d’êtres humains, piraterie maritime, trafics d’armes légères et de petit calibre, trafic d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs, trafics d’organes, trafic d’œuvres d’art, trafic de minerais… Cette situation de « sectoriarisation » se trouve confortée par le fait que ces mouvements ne sont prévus, au niveau international, qu’également de manière sectorielle (relativement nombreux concernant les trafics de substances psychotropes), bien que des textes plus généraux aient vu le jour (v. not. la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000 et ses protocoles additionnels et la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003).
Si la « contrebande » intéresse la communauté internationale, c’est aussi et surtout parce que, dans la majorité des cas, elle s’inscrit dans le cadre de la criminalité transnationale organisée, en en étant son vecteur principal. Le Conseil, dans sa déclaration, énonce un certain nombre de recommandations. Cependant, il semble évident que la lutte sectorielle doive rester la voie privilégiée, car la plus adaptée, chaque trafic ayant causes, victimes et conséquences spécifiques.
Les recommandations du Conseil
Si le Conseil exhorte en premier lieu les États à agir pour assurer la sécurité de leurs frontières et leur perméabilité face aux flux criminels transfrontaliers, cela ne doit toutefois pas les dispenser de leurs obligations internationales. Le Conseil rappelle ainsi – et c’est nécessaire – aux États leurs obligations notamment en termes de respects des droits de l’homme, des réfugiés et des demandeurs d’asile dans le cadre de leurs politiques de contrôle aux frontières. Ainsi, les droits des migrants, légaux ou clandestins, ne doivent en aucune mesure être sacrifiés sur l’autel de la souveraineté. Cette précision semble fondamentale au regard des récents et tragiques évènements (disparition en mer de centaines de migrants fuyant les pays du nord de l’Afrique en direction de l’Europe) et conforte les positions défendues par les organisations et cours régionales (v. notamment les positions de la CEDH, récemment illustrées dans l’arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie, v. note Sentinelle CEDH / Affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie : refoulement de migrants interceptés en mer et condamnation de l'Italie , Dumouchel Anne Claire). Egalement, les Etats ne doivent pas tomber dans le piège d'un protectionnisme exacerbé et ne pas considérer les frontières comme des obstacles, mais comme de grands outils offrant de multiples opportunités, si tant est qu'elles soient suffisamment protégées - ni trop, ni trop peu. L'approche européenne de "gestion intégrée des frontières" pourrait ici être très intéressant. L’optimisation de la sécurisation des mouvements transfrontaliers passant nécessairement par une protection de toutes les frontières, le Conseil appelle les États membres et les organisations et initiatives internationales pertinentes (not. ONUDC, AIEA, ECOSOC, initiative ISP...) à aider les États concernés à mettre en œuvre les politiques et moyens adéquats. Dans un souci cependant du respect de leur souveraineté, une telle ne peut être accordée qu’à leur demande et sur accord mutuel. Dans tous les cas, la gestion efficace du contrôle aux frontières ne peut passer que par une approche internationale, globalisée et ordonnée. Les instruments internationaux existants doivent donc être renforcés et mis réellement à profit.
Enfin, et cela témoigne de la volonté du Conseil d’appréhender les différents trafics dans leur ensemble, il demande au Secrétaire général de lui présenter dans les six mois à venir un « rapport contenant une étude et une évaluation complètes de efforts déployés par le système des Nations Unies pour aider les États Membres à lutter contre le trafic et les mouvements transfrontières illicites ». Si une volonté de rationalisation est certainement à l’origine de cette requête, un tel rapport permettra d’avoir une vue d’ensemble des mécanismes onusiens de lutte contre les trafics transfrontières. Nul doute que ce rapport sera très attendu. Il ne faut en effet pas oublier, comme l’a très justement fait remarquer le Costa Rica lors des débats, l’impact très large de ces mouvements, pas seulemen sur la sécurité, mais également sur le développement économique et social des populations touchées.
Document :
Conseil de sécurité - Renforcement de la sécurité des frontières face aux trafics et mouvements illicites - Intervention du représentant permanent adjoint de la France auprès des Nations unies (New York, 25 avril 2012)
Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/onu/evenements-2012/article/conseil-de-securite-renforcement-99575
Madame la Présidente,
Je vous remercie d’avoir organisé ce débat, qui offre l’opportunité à ce Conseil de s’intéresser à la façon dont le système des Nations unies peut être amélioré pour aider les États à sécuriser leurs frontières contre les trafics et mouvements illicites. Je m’associe à la déclaration que prononcera le chef de la délégation de l’Union européenne.
Les trafics ou mouvements illicites transfrontaliers recouvrent des phénomènes différents. Certains représentent très clairement des menaces directes à la paix et la sécurité internationales, par exemple les trafics de biens et technologies liés aux armes de destruction massive. D’autres peuvent nuire indirectement à la stabilité et la sécurité régionale et internationale. Je pense par exemple à un phénomène que nous constatons dans plusieurs crises que ce Conseil est appelé à traiter : l’argent issu des trafics de ressources nourrit le commerce illicite d’armes qui, à son tour, alimente l’instabilité régionale.
Lorsque les conséquences de ces flux et trafics transfrontaliers menacent la paix et la sécurité internationales, il est de la responsabilité du Conseil de sécurité de s’intéresser à ces sujets. Ce Conseil a déjà pleinement pris en compte cette menace croissante dans certains domaines spécifiques, comme la lutte contre le terrorisme avec la résolution 1373 et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et la prévention du terrorisme au moyen d’armes de destruction massive avec la résolution 1540 et celles qui lui ont succédé. C’est également un élément clef de l’efficacité des sanctions décidées par ce Conseil. Par ailleurs, ce Conseil a reconnu, en février 2010, par l’adoption d’une déclaration présidentielle, le danger croissant posé par les menaces transversales. Enfin, il prend de plus en plus en compte sa dimension régionale, comme il l’a fait au mois de février sur l’Afrique de l’Ouest et le Sahel lorsqu’il a pris acte de la menace pour la paix et la stabilité internationales représentée par le crime transnational organisé.
L’approche retenue aujourd’hui consiste à considérer cette problématique des trafics et des mouvements illicites sous l’angle des frontières, point de passage de ces trafics. Il ne s’agit pas ici d’avoir un débat théorique sur les différents phénomènes recouverts par la notion de trafics et mouvement illicites, mais de tenter d’apporter des réponses concrètes sur le terrain.
Les États ont la responsabilité principale du contrôle des frontières. Mais nous le savons, souvent, des réseaux criminels s’adaptent plus vite que les structures étatiques aux opportunités offertes par la mondialisation. Parfois les États n’ont pas les capacités nécessaires pour contrôler efficacement leurs frontières et lutter contre les trafics illicites. D’où l’importance pour y répondre de la coopération internationale, d’où l’importance que les États disposent des capacités nécessaires pour mettre en œuvre leurs obligations internationales en matière de contrôle des frontières. À cet égard, des efforts peuvent être réalisés pour améliorer l’aide fournie aux États qui demandent une assistance dans ce domaine.
Madame la Présidente,
Pour faire face à ces flux illicites, de nombreux stratégies et mécanismes sont déjà en place afin d’assister les États qui le souhaitent.
Nous saluons l’existence des plans qui, à l’échelle régionale, permettent de faire face à ces flux. J’aimerais par exemple citer le cas de la Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petits calibres. Le renforcement de la coopération entre les États est important, c’est tout le sens de l’initiative qu’a pris la France en 2011, dans le cadre de sa présidence du G8, pour traiter de la lutte contre le trafic transatlantique de cocaïne. En outre, je souhaiterais rappeler qu’au sein de l’Union européenne, des mécanismes existent pour lutter contre les dangers relatifs à la contrebande et au trafic de biens ainsi qu’à la traite d’êtres humains.
De nombreuses structures onusiennes - qu’il s’agisse d’agences, de programmes, ou d’organes du Conseil de sécurité - collaborent actuellement avec les États pour les aider à lutter contre ces phénomènes. L’ONUDC en particulier joue sur ces questions un rôle fondamental, notamment dans le cadre de son programme régional pour l’Afrique de l’Ouest.
Les tâches conduites par les différentes structures des Nations Unies ont souvent de nombreux points communs (évaluation de la situation des États, fourniture d’une assistance technique etc.) et se recoupent. Même lorsqu’elles sont focalisées sur des problématiques spécifiques, elles sont sources d’externalité positive. Par exemple, lorsqu’un État bénéficie, grâce au Comité 1540, d’un programme d’assistance technique visant à lutter contre la prolifération et prévenir le terrorisme ADM, lorsqu’il améliore pour cette raison le dispositif de contrôle de ses exportations ou son système de douane, il élève plus généralement le degré de sécurité de ses frontières, ce qui lui permet également de renforcer ses barrières contre d’autres trafics. Dès lors, les domaines dans lesquels les synergies sont possibles sont multiples.
Madame la Présidente,
La paix et la sécurité internationales ne peuvent que bénéficier des efforts accrus pour prévenir les trafics et les mouvements illicites. Les initiatives ne manquent pas au niveau international et régional. Il parait donc particulièrement opportun, comme ce Conseil le demande aujourd’hui, que les Nations unies évaluent leur action dans ce domaine en soutien aux États. Cette évaluation, selon nous, devrait se traduire par des recommandations concrètes pour en accroître la cohérence et l’efficacité tout en tirant le meilleur parti des initiatives des autres organisations internationales et régionales qui jouent dans ce domaine.
Je vous remercie.
Observations (Philippe Weckel)
Cette déclaration adoptée sous une présisence des Etats-Unis traduit tout de même une volonté d'extension du domaine d'action du Conseil de sécurité. Elle est dans la logique de la Résolution 1540 relative à la prolifération "horizontale" : elle vise des comportements de personnes et non plus les actions des Etats. S'agit-il de menaces directes ou de menaces indirectes (comme le réchauffement climatique par exemple) à la paix et à la sécurité internationales ?