Introduction
Le 14 mars 2012, la Chambre de première instance de la Cour pénale internationale (CPI) a, à l’unanimité, déclaré Thomas Lubanga Dyilo coupable, en qualité de coauteur, des crimes de guerre consistant à avoir procédé à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et à les avoir fait participer activement à des hostilités du 1er septembre 2002 au 13 août 2003. (Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo). Il s’agit du premier verdict rendu par une chambre de première instance de la CPI. Thomas Lubanga est devenu ainsi le premier condamné de la Cour pénale internationale. En effet, « La chambre a conclu à l'unanimité que l'accusation a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Thomas Lubanga est coupable des crimes de conscription et d'enrôlement d'enfants de moins de quinze ans et les a fait participer à un conflit armé ». Agé de 51 ans, Thomas Lubanga Dyilo, citoyen de la République démocratique du Congo (RDC) apparaît à première vue comme un personnage réservé, voire timide. Originaire du territoire de l’Ituri, il a fait des études de psychologie et pratiqué plusieurs métiers, vendant du minerai et des haricots. Il a milité un temps dans l’opposition, et s’est retrouvé «ministre» de la Défense du mouvement rebelle RCD/KML. Puis il a créé son propre mouvement, l’UPC, Union des populations congolaises, qui visait essentiellement à défendre les intérêts d’une seule ethnie, les Hema, en conflit avec les Lendu, lui-même étant issu de ces deux groupes. Les affrontements interethniques et les violences entre milices pour le contrôle des mines d'or et d'autres ressources naturelles dans cette région du nord-est de la RDC ont provoqué la mort de 60. 000 personnes depuis 1999, selon des ONG humanitaires. Les crimes de guerre dont il est question dans le procès - la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et le fait de les avoir fait participer activement à des hostilités-ont été commis dans le cadre d’un conflit armé interne qui a eu lieu en Ituri et qui a opposé la Force patriotique pour la libération du Congo (FPLC), dirigée par Thomas Lubanga Dyilo, à l’Armée populaire congolaise et à d’autres milices, dont la Force de résistance patriotique en Ituri. Thomas Lubanga Dyilo et les coauteurs des crimes ont convenu d’un plan commun consistant à mettre sur pied une armée dans le but de prendre et conserver le contrôle de l’Ituri, aussi bien politiquement que militairement. Ce plan a eu pour conséquence la conscription et l’enrôlement de garçons et de filles de moins de 15 ans, et leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités.
Pendant les négociations de paix, avant les élections de 2006, Thomas Lubanga est appelé à Kinshasa et le piège se referme sur lui. Il loge au Grand Hôtel et se retrouve de fait en résidence surveillée; il sera ensuite incarcéré avant d’être livré à la CPI. L’ouverture du procès Lubanga marquait alors un tournant décisif pour le traité instituant la CPI. C’était le premier test pour la participation formelle des victimes dans un procès pénal international. Cette affaire mettait également en évidence la gravité du recrutement, de l'enrôlement et de la conscription d'enfants soldats dans les conflits armés non internationaux.
Le jugement du 14 mars 2012, qui entre désormais dans l'histoire de la lutte institutionnelle contre l’impunité au tournant du 21e siècle, est l'aboutissement concret d'un procès de cinq ans, qui intervient dix ans après l’entrée en vigueur du statut de Rome portant création de la CPI. Au moment où la cour est critiquée de toutes parts et où il existe des doutes sur son efficacité et le débat sur son universalité, la décision du 14 mars 2012 a l’avantage de susciter l’espoir de l’idée de justice dans les esprits des victimes. Ce verdict a comme apport principal l’illustration concrète du fonctionnement de la CPI dans l’examen d’une affaire donnée, avec toutes les lenteurs et difficultés qu’elle rencontre au cours du procès qui se veut, en tout état de cause équitable.
I. Un procès difficile
La République démocratique du Congo (RDC) a ratifié le Statut de Rome, instrument fondateur de la Cour pénale internationale, le 11 avril 2002. Le 3 mars 2004, le gouvernement de la RDC a déféré à la Cour la situation (l’ensemble des événements relevant de la compétence de la Cour) prévalant sur son territoire depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome, le 1er juillet 2002. Après une analyse préliminaire, le Procureur a ouvert une enquête le 21 juin 2004. Le 26 janvier 2009, la CPI a ouvert son premier procès dans l'affaire contre le chef de guerre congolais Thomas Lubanga Dyilo. Lubanga a été la première personne accusée dans la situation en République démocratique du Congo (RDC) ainsi que le premier détenu de la Cour. Son procès aura été difficile à suivre, tant les audiences à huis clos se sont multipliées, pour garantir la sécurité des témoins. Mais il aura aussi été l'occasion de rôder des procédures nouvelles devant la CPI. Ainsi pour la première fois devant la justice internationale, des victimes avaient leurs avocats. Ce sont elles qui ont mis en évidence les crimes sexuels perpétrés contre les jeunes filles recrutées par la milice de Thomas Lubanga, ce qui ne figurait pas dans l'acte d'accusation du procureur.
A. Mandat d'arrêt, transfert et comparution
Le 10 février 2006, la Chambre préliminaire I a émis un mandat d'arrêt sous scellés contre M. Lubanga. Le 17 mars 2006, le mandat d'arrêt contre Thomas Lubanga a été annoncé publiquement et la mise sous scellés retirée par la Chambre préliminaire I de la CPI. Grâce à la coopération des autorités de la RDC, du gouvernement français et de la MONUC, Lubanga a été transféré à La Haye le même jour. Les crimes pour lesquels il a été accusé sont répertoriés comme étant des crimes de guerre en vertu des articles 8 (2) (b) (xxvi) ou 8 (2) (e) (vii) du Statut de Rome de la CPI. Le Procureur de la CPI a inculpé Thomas Lubanga Dyilo du crime de guerre d'enrôlement d'enfants de moins de quinze ans, de la conscription d'enfants de moins de quinze ans et de l’utilisation d'enfants de moins de quinze ans pour participer activement à des hostilités. Le 20 mars 2006, Thomas Lubanga Dyilo a comparu devant la Chambre préliminaire I de la CPI.
Après sa remise à la cour ou lors de sa comparution, la chambre préliminaire a vérifié qu'il a été informé des crimes qui lui sont imputés et des droits que lui reconnaît le statut y compris le droit de demander sa mise en liberté provisoire en attendant d'être jugé. La défense de Thomas Lubanga se fondant sur cette disposition a estimé que les droits de la défense ont été violés pendant la procédure interne en RDC, la défense a soulevée l'exception d'incompétence. Les moyens évoqués reposaient sur l'article 59 (2) qui dispose «Toute personne arrêtée est déférée aussitôt à l'autorité judiciaire compétente de l'État de détention qui vérifie, conformément à la législation de cet État :
a)Que le mandat vise bien cette personne ;
b) Que celle-ci a été arrêtée selon la procédure régulière ; et
c) Que ses droits ont été respectés ».
La disposition (d) sur la régularité de la procédure n'avait pas été respectée par les autorités Congolaises d'après la défense. En outre l'alinéa 3 de l'article précité ajoute « la personne arrêtée a le droit de demander à l'autorité compétente de l'État de détention sa mise en liberté provisoire en attendant sa remise ». Après avoir rejeté la requête de la défense, la Cour a tenu une audience de confirmation des charges de Thomas Lubanga conformément à la règle 158 du RPP.
B.Audience de confirmation des charges
Aux termes de la Règle 110 (1), du RPP de la CPI , la procédure de confirmation des charges doit se faire dans le respect des dispositions légales, qui précédent la tenu de l'audience de confirmation des charges. Après la remise de Thomas Lubanga à la cour pour sa comparution, une audience s'est tenue pour confirmer les charges sur lesquelles le procureur entendait se fonder, pour requérir le renvoi en jugement. L'audience s'était déroulée en présence du procureur de Thomas Lubanga, ainsi que de son conseil conformément à l'article 61(1) du statut de la CPI et 90 du RPP. L'alinéa 7 de l'article 61 prévoit qu'à l'issue de l'Audience, la chambre Préliminaire s'il existe des preuves suffisantes donnant des raisons sérieuses de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés. Conformément aux prescriptions légales, une audience de confirmation des charges s'est tenue pendant trois semaines en novembre 2006. Quatre victimes ont participé aux procédures et ont été autorisées à présenter leurs points de vue et préoccupations. Le 29 janvier 2007, la Chambre préliminaire I de la CPI aconfirmé les charges à l’encontre de Thomas Lubanga Dyilo , renvoyant ainsi l’accusé au jugement. En effet, dans sa décision sur la confirmation des charges, la Chambre confirmait l’existence de preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que : « Thomas Lubanga Dyilo est responsable, en qualité de coauteur, des chefs d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans les FPLC et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités, au sens des articles 8â€2â€bâ€xxvi et 25â€3â€a du Statut, de début septembre 2002 au 2 juin 2003. » La Chambre a jugé les preuves suffisantes pour établir des motifs sérieux de croire que Thomas Lubanga est pénalement responsable en tant que co-auteur concernant les accusations portées contre lui pour la période allant de début septembre 2002, lorsque les Forces Patriotiques pour la Libération du Congo (FPLC) a été fondée, au 13 août 2003.
Le procès a été suspendu à deux reprises en raison de problèmes liés à la communication des pièces. La première suspension a été imposée par la Chambre le 13 juin 2008 et a été levée le 18 novembre 2008. Une deuxième suspension a été imposée le 8 juillet 2010. La présentation des moyens de preuve a repris le 25 octobre 2010.
C. Suspension des procédures et reprise du procès
Le 13 juin 2008, la Cour a annoncé une suspension des procédures dans l’affaire Lubanga car l'Accusation était incapable de fournir des éléments potentiellement à décharge. Le Procureur avait obtenu la preuve en question de la part de plusieurs sources sur une base confidentielle, notamment de l'ONU, mais ces sources avaient refusé de la divulguer à la défense et, dans la plupart des cas, à la Chambre de première instance. Lors d'une audience qui s'est tenue le 24 juin 2008 pour examiner la libération de l’accusé, la Chambre de première instance I a déclaré qu'il était prématuré d'envisager à ce stade la libération de l’accusé.
Le 2 juillet 2008, la Chambre de première instance I a rendu une ordonnance accordant la mise en liberté sans restrictions du premier accusé de la CPI, Thomas Lubanga Dyilo, au motif que l’Accusation n’avait pas été en mesure de présenter des éléments de preuve potentiellement à décharge. L’Accusation a interjeté appel de cette décision. L’accusé ne quittera pas la détention jusqu’à ce que la Chambre d’appel ait résolu la question.
Le 11 juillet 2008, l'Accusation a demandé que soit repris le cours de la procédure et de révoquer l'ordonnance de libération de l'accusé, du fait de nouvelles procédures acceptées par l'ONU permettant à la Chambre de consulter les documents potentiellement à décharge.
Le 3 septembre 2008, la Chambre de première instance I de la CPI a décidé de maintenir la suspension de la procédure contre Thomas Lubanga Dyilo. “Les propositions formulées dans la Requête ne remplissent manifestement pas les conditions préalables que la Chambre a jusqu’ici posées à la levée de la suspension de la procédure. En outre, elles vont à l’encontre d’aspects fondamentaux du droit de l’accusé à un procès équitable", déclarent les juges dans leur décision. Thomas Lubanga Dyilo restera toutefois en détention jusqu'à ce qu'une décision finale soit prise par la Chambre d'appel de la CPI sur l'appel de la décision d'accorder une libération sans restrictions à Thomas Lubanga Dyilo.
Le 14 octobre 2008, l'Accusation a décidé de retirer les premier et second motifs de son appel de la décision de la Chambre de première instance de suspendre la procédure. Selon l'Accusation, les témoins ont accepté d'autoriser l'accès complet à tous les documents par la Chambre de première instance et la Chambre d'appel en vertu de l'article 54 (3)(e). Cette décision n'affecte ni le troisième motif de l'appel concernant l'ordonnance de suspension du procès ni les appels découlant de la décision de remettre en liberté de l'accusé.
Le 21 octobre 2008, la Chambre d'appel de la Cour a rejeté l'appel du Procureur de la CPI, demandant la reprise du procès du premier accusé de la CPI , le Congolais Thomas Lubanga Dyilo. Cependant, les juges de la Chambre d’appel ont décidé en faveur de l'appel du Procureur de rejeter la décision de libérer l'accusé en raison de la suspension du procès. La Chambre d'appel a déclaré que la Chambre de première instance avait tort de conclure que la libération immédiate et inconditionnelle de l'accusé était la conséquence inévitable d'une suspension conditionnelle du procès. Les juges ont renvoyé la question de la libération de l'accusé à la Chambre de première instance pour que celle-ci prenne une nouvelle décision concernant la libération de Lubanga, à la vue de la décision du 21 octobre et en prenant en compte tous les facteurs pertinents, y compris le besoin de maintenir Lubanga en détention conformément aux conditions établies dans le Statut de Rome. (Voir le Communiqué de la CPI pour plus d'informations).
Le 22 octobre 2008, la Chambre de première instance I a réagi à la décision de la Chambre d'appel en demandant à l'Accusation, à la Défense et aux représentants légaux des victimes de transmettre leurs conclusions concernant la détention préliminaire de Lubanga. La date limite pour la remise des conclusions est le 31 octobre 2008.
Le 18 novembre 2008, la Chambre de première instance I de la CPI a annoncé sa décision de reprendre les procédures dans l’affaire Lubanga, étant donné que les raisons de sa suspension étaient tombées. Les juges ont annoncé que le procès devrait commencer le 26 janvier 2009. La Chambre de première instance a aussi décidé de ne pas accorder la mise en liberté sans restrictions ni même la mise en liberté conditionnelle à Thomas Lubanga Dyilo.
D. Audiences préparatoires et détention
La Cour a tenu de nombreuses audiences en préparation du procès de Lubanga. Avec une décision en appel sur la participation des victimes au procès, des décisions sur la divulgation des éléments de preuves, l’expurgation des documents, le rôle du Bureau du conseil public pour les victimes, la Cour a établi les directives clés sur beaucoup de questions cruciales. Thomas Lubanga est détenu dans une des 12 cellules de la CPI dans la prison ‘Haaglanden’, à Scheveningen à La Haye depuis le 17 mars 2006. La prison de Scheveningen est située à moins de vingt minutes de route de la Cour. Le Comité International de la Croix Rouge rend visite au Centre de détention régulièrement.
II. Déroulement de l’instance
Le 26 janvier 2009, la CPI a ouvert son premier procès dans l'affaire contre Thomas Lubanga Dyilo. L'accusation, la défense, le greffe et 8 représentants légaux des victimes - qui représentent 93 victimes - participent aux audiences. L'accusation a fini la présentation de ses moyens de preuve mi-juillet 2009. La défense devait à son tour présenté ses moyens de preuve à partir d'octobre 2009 mais les audiences ont été ajournées dans l'attente d'une décision de la Chambre d'appel sur la requalification des faits et l'ajout de la charge d'esclavage sexuel et/ou de traitement inhumain aux charges existantes. Le 8 décembre 2009, la Chambre d'Appel de la CPI a renversé la décision de la Chambre de première instance sur la requalification des faits dans l'affaire Lubanga. Le 7 janvier 2010, l'affaire Lubanga a repris avec les témoignages de deux experts et trois victimes. La défense a ensuite commencé à présenter ses moyens de preuve.
A. Suspension des procédures
Le 8 juillet 2010, la Chambre de première instance I de la Cour a ordonné la suspension des procédures dans l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, considérant que l’équité des procédures à l’encontre de l’accusé n’est plus garantie, du fait du non respect par l’Accusation des ordonnances émises par la Chambre. La Chambre avait ordonné au Bureau du Procureur de divulguer confidentiellement à la Défense l'identité de l’intermédiaire 143. Le 15 juillet 2010, la Chambre de première instance I a ordonné la mise en liberté de Thomas Lubanga. Les juges de la CPI ont considéré qu’un accusé ne peut être maintenu en détention préventive sur la base d’une spéculation sur une éventuelle reprise des procédures. Toutefois, la décision n’était pas immédiatement exécutoire. L’Accusation a fait appel à cette décision et un effet suspensif a été accordé à l’appel. Thomas Lubanga est resté en détention jusqu’à ce que la Chambre d’appel ait rendu sa décision finale.
Le 8 octobre 2010, la Chambre d’appel de la CPI a annulé la décision prise par la Chambre de première instance I en juillet 2010 relative à la suspension du procès et la remise en liberté de l’accusé. Les juges de la Chambre d’appel ont déclaré que bien que le Procureur ne s’était pas conformé aux ordres de la Chambre de première instance concernant les questions de protection, les juges auraient dû appliquer des sanctions avant d’imposer une mesure aussi drastique que la suspension du procès. Le 20 mai 2011, la Chambre préliminaire I a ordonné la clôture de la phase de présentation des preuves.
B. Fin de la phase de procès
Les 25 et 26 août 2011, les déclarations de clôture ont été prononcées devant la CPI. Le Procureur ainsi que la défense ont présenté leurs plaidoiries finales. Les représentants légaux des victimes ont également fait des déclarations lors des audiences finales. Un total de 123 victimes a été autorisé à prendre part au procès. Grâce à leur représentant légal, ces victimes ont exprimé leur position sur les questions débattues devant la Chambre et ont été autorisées à entendre des témoins sur des questions spécifiques. Le 15 décembre 2011, la CP I a décidé qu'elle publierait d'abord la version officielle de la décision concernant cette affaire en anglais et que la version française suivrait quelques semaines plus tard.
Au total, en 204 jours d’audience, la Chambre de première instance, composée des juges Adrian Fulford (juge président), Elizabeth Odio Benito et René Blattmann, a rendu 275 décisions et ordonnances écrites, ainsi que 347 décisions orales. Elle a entendu 36 témoins cités à comparaître par le Bureau du Procureur, dont trois experts, 24 témoins cités par la Défense et trois par les représentants légaux des victimes participant à la procédure. La Chambre a quant à elle cité quatre experts à comparaître. En tout, 129 victimes, représentées par deux équipes de représentants légaux et le Bureau du conseil public pour les victimes, ont obtenu le droit de participer au procès. Elles ont été autorisées à présenter des observations et à poser aux témoins des questions spécifiques. L’Accusation a versé 368 pièces au dossier, la Défense 992, et les représentants légaux des victimes 13.
III. Analyse de la Cour
Les crimes de guerre sont les violations des règles du droit des conflits armés et du DIH, qui entraînent selon le droit international, la responsabilité des individus qui les commettent. L'article 8 du statut de Rome fait une distinction entre les crimes de guerre perpétrés dans le cadre des conflits internationaux et ceux commis dans le cadre de conflit non internationaux. Les crimes reprochés à Thomas sont consacrés par le statut de Rome (Cf. Article 25 paragraphe 3, al. a (i) du statut de la CPI), et sont sanctionnés en tant que violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux. « Le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement d'enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités », selon le point de l'alinéa (e) du paragraphe 2 de l'article 8 du statut. L'incrimination de Thomas Lubanga sous les seules charges d'enrôlement, conscription et utilisation des enfants - soldats de moins de 15 ans a été critiqué par certains mouvements des droits de l'homme à l'instar de la FIDH, qui explique que l'UPC s'est rendu coupable de nombreux autres crimes graves tels que « des exécutions sommaires, des actes de torture et des crimes sexuels » , régis en véritable arme de guerre, des charges qui ne sont pas cependant retenues contre Thomas Lubanga en tant que supérieur hiérarchique, c'est pourquoi elle exhorte le procureur a continuer des enquêtes contre lui (Position de la FIDH sur l'affaire T. Lubanga, http://www.fidh.org/article.php3?id_article=3983). Les incriminations ainsi visées devaient être vérifiées par la Cour.
A. Difficile administration des preuves
Aux termes de l’article 66 du Statut, l’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que le Procureur ait prouvé sa culpabilité. Pour qu’il soit déclaré coupable, il faut que chacun des éléments du crime reproché ait été établi « auâ€delà de tout doute raisonnable ».
1. Force probante approximative du témoignage
a. Témoignage indirect
La question de l’utilisation, par l’Accusation, d’intermédiaires locaux en RDC a occupé la Chambre pendant une bonne partie de ce procès. La Chambre est d’avis que l’Accusation n’aurait pas dû déléguer aux intermédiaires ses responsabilités en matière d’enquête de la manière analysée dans le jugement, quels que fussent les nombreux problèmes de sécurité auxquels elle devait faire face. Ce procès a vu la comparution d’une série de personnes dont le témoignage ne saurait servir de base fiable au jugement, en raison du fait que trois des principaux intermédiaires ont agi sans véritable supervision.
b. Témoignage direct
La Chambre a consacré un temps considérable à étudier la situation personnelle de nombre d’individus dont le témoignage était, au moins en partie, inexact ou insincère. Le fait que l’Accusation ait négligé de vérifier et d’examiner comme il se doit les éléments de preuve en question avant d’en demander le versement au dossier a occasionné d’importantes dépenses pour la Cour. L’absence de réelle supervision des intermédiaires a eu pour autre conséquence de leur laisser la possibilité d’abuser de la situation des témoins avec lesquels ils se mettaient en rapport. Indépendamment des conclusions tirées par la Chambre en ce qui concerne la crédibilité et la fiabilité des témoins se disant anciens enfants soldats, la jeunesse des intéressés et le fait qu’ils ont probablement été exposés au conflit en faisaient des personnes susceptibles d’être manipulées. La Chambre a retiré à six personnes qui avaient la double qualité de victime et de témoin le droit de participer au procès, en raison des conclusions qu’elle a tirées concernant la fiabilité et l’exactitude de leur témoignage.
De même, la Chambre ne s’est pas fondée sur le témoignage des trois victimes qui ont déposé à l’audience (a/0225/06, a/0229/06 et a/0270/07), car les récits qu’elles ont livrés n’ont pas été jugés dignes de foi. Compte tenu de doutes importants quant à l’identité de deux de ces personnes, doutes qui affectent inévitablement le témoignage de la troisième, la Chambre a décidé de retirer l’autorisation qui leur avait été initialement donnée de participer au procès en qualité de victimes.
La Chambre a conclu qu’il existait un risque que les intermédiaires Pâ€0143, Pâ€316 et Pâ€321 aient persuadé, encouragé ou aidé des témoins à faire de faux témoignages. Il se peut que ces intermédiaires se soient rendus coupables de crimes visés à l’article 70 du Statut. Comme prévu à la règle 165 du Règlement de procédure et de preuve, c’est à l’Accusation qu’il incombe d’engager et de conduire des enquêtes en pareilles circonstances. Des enquêtes peuvent être engagées sur la base d’informations communiquées par une chambre ou par toute source fiable. La Chambre communique les informations pertinentes au Bureau du Procureur, à charge pour celuiâ€ci d’éviter tout risque de conflit d’intérêts dans le cadre de toute enquête engagée à cet égard.
2. Etablissement des faits
Thomas Lubanga était accusé d’avoir commis, en tant que coauteur, des crimes de guerre consistant à procéder à l’enrôlement et à la conscription d’enfants âgés de moins de 15 ans dans les rangs des Forces patriotiques pour la libération du Congo (les FPLC) et à les faire participer activement à des hostilités en Ituri, un district de la province Orientale de la RDC, entre septembre 2002 et août 2003.
a. Détermination de la nature du conflit armé en cause
Pour établir les faits de façon irréfutable, la Cour devait d’abord déterminer la nature du conflit. La Chambre de première instance a entendu plusieurs témoins experts et examiné de nombreuses preuves documentaires concernant la question de l’existence d’un conflit interethnique en Ituri entre 1999 et 2003. Bien que dans la Décision sur la confirmation des charges, la Chambre préliminaire ait estimé que durant une partie de la période considérée, le conflit armé présentait un caractère international, la Chambre de première instance conclut qu’en tant que groupe armé organisé, l’UPC/FPLC a participé à un conflit armé interne, qui l’a opposé à l’Armée populaire congolaise (APC) et à d’autres milices Lendu, dont la Force de résistance patriotique en Ituri (FRPI), entre septembre 2002 et le 13 août 2003. Par conséquent, la Chambre a, en application de la norme 55 du Règlement de la Cour, modifié la qualification juridique des faits dans la mesure où le conflit armé lié aux charges ne présentait pas un caractère international. Il s’agissait donc d’un armé non international.
b. Examen du principal chef d’accusation: la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants soldats dans un conflit armé
Le procès de Thomas Lubanga était surnommé l’« affaire des enfants soldats ». En effet, le Procureur de la Cour pénale internationale avait officiellement inculpé Thomas Lubanga Dyilo, des chefs d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans et de leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités. C’était la première fois qu’un individu devait répondre de ses actes devant une cour internationale sur la seule base de ces crimes. Les charges portées contre l’accusé consistaient en trois actes criminels distincts. La Chambre a conclu que les crimes de conscription et d’enrôlement sont commis dès lors qu’un enfant de moins de 15 ans est incorporé dans une force ou un groupe armé ou qu’il en rejoint les rangs, avec ou sans contrainte. De nature continue, ces infractions ne cessent d’être commises que lorsque l’enfant atteint 15 ans ou quitte la force ou le groupe concerné.
-Pour ce qui est de l’infraction consistant à utiliser des enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités, la Chambre a conclu qu’elle concernait une grande variété d’activités, de celles des enfants qui se trouvaient sur la ligne de front (prenant une part directe aux combats), à celles des garçons ou filles qui assumaient une multitude de rôles d’appui aux combattants. Qu’elles relèvent de la participation directe ou indirecte, toutes ces activités présentent une caractéristique fondamentale commune : l’enfant en question constitue, à tout le moins, une cible potentielle. Par conséquent, pour décider si un rôle « indirect » doit être considéré comme une participation active aux hostilités, il est crucial de déterminer si l’appui apporté par l’enfant aux combattants l’a exposé à un danger réel, faisant de lui une cible potentielle. De l’avis de la Chambre, la conjonction de ces éléments - l’appui apporté par l’enfant et l’exposition conséquente de celuiâ€ci à pareil niveau de risque - signifie que bien qu’absent du lieu même des hostilités, l’enfant a tout de même participé activement à cellesâ€ci.
-Constatations relatives à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et au fait de les avoir fait participer activement à des hostilités
Il est allégué que l’accusé a, conjointement avec d’autres, procédé à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans le groupe armé que constituait l’UPC/FPLC et qu’il a fait participer ces enfants activement à des hostilités entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003. La Chambre conclut que l’UPC/FPLC était bien un groupe armé. Elle constate qu’entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, la branche armée de l’UPC/FPLC a procédé au recrutement généralisé de jeunes gens, dont des enfants de moins de 15 ans, de manière aussi bien forcée que « volontaire ». A cet égard, de multiples témoins ont rapporté de façon crédible et fiable que des enfants de moins de 15 ans étaient recrutés « volontairement » ou de force au sein de l’UPC/FPLC, puis envoyés soit au quartier général de celleâ€ci à Bunia soit à ses camps de formation militaire sis à Rwampara, Mandro et Mongbwalu, notamment. Des éléments de preuve vidéo montrent clairement que des recrues âgées de moins de 15 ans se trouvaient au camp de Rwampara.
Selon la Cour, les éléments de preuve démontrent que dans les camps militaires, les enfants suivaient des régimes de formation très durs et subissaient divers châtiments sévères. Les preuves montrent également que des enfants, principalement des filles, étaient utilisés comme domestiques au service des chefs militaires de l’UPC/FPLC. Des témoins ont déclaré devant la Chambre de première instance que des filles soldats étaient victimes de violences sexuelles et de viols. Des témoins ont spécifiquement rapporté que des chefs militaires de l’UPC/FPLC avaient infligé des violences sexuelles à des filles de moins de 15 ans. Les violences sexuelles ne faisant pas partie des charges portées contre l’accusé, la Chambre n’a fait aucune constatation à cet égard, particulièrement quant à la question de l’imputabilité des crimes en question à l’accusé.
La Cour conclut que les éléments présentés prouvent auâ€delà de tout doute raisonnable que des enfants de moins de 15 ans ont été victimes de conscription et d’enrôlement au sein de l’UPC/FPLC entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003. En effet, les dépositions de multiples témoins et les preuves documentaires établissent qu’entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, les rangs de l’UPC/FPLC comptaient des enfants de moins de 15 ans. Les éléments de preuve montrent que des enfants ont été déployés en tant que soldats à Bunia, Tchomia, Kasenyi, Bogoro et ailleurs, et ont participé à des combats, notamment à Kobu, Songolo et Mongbwalu. Il a été prouvé que l’UPC/FPLC a utilisé des enfants de moins de 15 ans comme gardes militaires. Les éléments de preuve révèlent qu’une unité spéciale, dite des « kadogo », a été formée, avec des effectifs principalement âgés de moins de 15 ans. Les dépositions de divers témoins ainsi que des extraits vidéo montrent que des chefs militaires de l’UPC/FPLC utilisaient fréquemment des enfants de moins de 15 ans comme gardes du corps. Les récits de plusieurs témoins, conjugués aux vidéos versées au dossier, prouvent clairement que des enfants de moins de 15 ans étaient utilisés comme gardes de corps ou servaient au sein de la garde présidentielle de Thomas Lubanga.
Compte tenu de l’ensemble des circonstances considérées, les éléments de preuve établissent auâ€delà de tout doute raisonnable que l’UPC/FPLC a utilisé des enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003.
-Analyse juridique des articles 25â€3â€a et 30 du Statut
La Chambre a conclu que conformément aux conditions posées aux articles 25â€3â€a et 30 du Statut, l’Accusation doit, pour chaque charge, prouver :
i) que l’accusé et au moins un autre coauteur avaient un accord ou un plan commun qui, une fois mis en oeuvre, aboutirait dans le cours normal des événements à la commission du crime considéré ;
ii) que l’accusé a apporté au plan commun une contribution essentielle qui a abouti à la commission du crime considéré ;
iii) que l’accusé entendait procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans ou les faire participer activement à des hostilités, ou qu’il était conscient que par la mise en oeuvre du plan commun, ces conséquences «adviendraient dans le cours normal des événements ;
iv) que l’accusé avait conscience qu’il apportait une contribution essentielle à la mise en oeuvre du plan commun ; et
v) que l’accusé avait connaissance des circonstances de fait qui établissaient l’existence d’un conflit armé, ainsi que du lien entre ces circonstances et son comportement.
C. Reconnaissance de la responsabilité pénale individuelle de Thomas Lubanga par la Cour
Les éléments de preuve confirment que l’accusé a convenu avec ses coauteurs d’un plan commun et qu’ils ont participé à la mise en oeuvre de ce plan pour mettre sur pied une armée dans le but de prendre et conserver le contrôle de l’Ituri, aussi bien politiquement que militairement. Dans le cours normal des événements, ce plan a eu pour conséquence la conscription et l’enrôlement de garçons et de filles de moins de 15 ans, et leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités.
La Chambre a conclu qu’à partir de la fin de l’année 2000, Thomas Lubanga a agi de concert avec ses coauteurs, parmi lesquels on peut citer Floribert Kisembo, Bosco Ntaganda, le chef Kahwa et les chefs militaires Tchaligonza, Bagonza et Kasangaki. L’implication de Thomas Lubanga dans l’envoi de soldats (dont de jeunes enfants) en Ouganda, où ils suivaient des formations, revêt une certaine importance. Bien que ces événements échappent à la période couverte par les charges et à la compétence temporelle de la Cour, ils constituent des preuves relatives aux activités de ce groupe, et contribuent à établir l’existence du plan commun avant la période correspondant aux charges et tout au long de celleâ€ci.
L’accusé est entré en conflit avec Mbusa Nyamwisi et le Rassemblement congolais pour la démocratie – Mouvement de libération (RCDâ€ML) à partir d’avril 2002 au moins. Il a pris la tête d’un groupe qui s’efforçait de modifier la situation politique en Ituri, notamment en provoquant le départ de Mbusa Nyamwisi, si nécessaire par la force. Alors qu’il était en détention pendant l’été 2002, l’accusé a conservé le contrôle de son groupe en déléguant son autorité, et il a envoyé le chef Kahwa et Beiza se procurer des armes au Rwanda. Durant cette période, Floribert Kisembo, Bosco Ntaganda et le chef Kahwa, trois des principaux coauteurs présumés de l’accusé, ont assumé la responsabilité générale du recrutement et de la formation des soldats, dont des garçons et des filles de moins de 15 ans.
L’accusé et au moins certains de ses coauteurs étaient impliqués dans la prise de Bunia en août 2002. En tant qu’autorité la plus haute de l’UPC/FPLC, Thomas Lubanga a nommé le chef Kahwa, Floribert Kisembo et Bosco Ntaganda à des postes élevés dans la hiérarchie de ce groupe. Les éléments de preuve montrent que durant cette période, les dirigeants de l’UPC/FPLC, dont le chef Kahwa et Bosco Ntaganda, et des sages de la communauté hema, tels que Eloy Mafuta, se sont montrés particulièrement actifs dans le cadre des campagnes de mobilisation et de recrutement visant à convaincre les familles hema d’envoyer leurs enfants grossir les rangs de l’UPC/FPLC. Les enfants recrutés avant la création formelle de la FPLC ont été incorporés à ce groupe et plusieurs autres camps de formation militaire se sont ajoutés au premier camp ouvert à Mandro. La Chambre a constaté qu’entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003, un grand nombre de responsables de haut rang et de membres de l’UPC/FPLC avaient mené à grande échelle une campagne visant à recruter des jeunes, dont des enfants de moins de 15 ans, volontairement ou par la contrainte.
La Chambre est convaincue auâ€delà de tout doute raisonnable que la mise en oeuvre du plan commun tendant à mettre sur pied une armée dans le but de prendre et conserver le contrôle de l’Ituri, aussi bien politiquement que militairement, a abouti à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans au sein de l’UPC/FPLC entre le 1er septembre 2002 et le 13 août 2003. De même, la Chambre est convaincue auâ€delà de tout doute raisonnable que l’UPC/FPLC a fait participer activement des enfants de moins de 15 ans à des hostilités, notamment au cours de batailles. Durant la période visée, ces enfants ont été utilisés comme soldats et comme gardes du corps de hauts responsables, dont l’accusé.
Thomas Lubanga était le Président de l’UPC/FPLC et les éléments de preuve montrent qu’il exerçait en même temps le commandement en chef de l’armée et sa direction politique. Il assurait la coordination globale des activités de l’UPC/FPLC. Il était en permanence tenu informé de la substance des opérations menées par la FPLC. Il participait à la planification des opérations militaires et tenait un rôle crucial en matière d’appui logistique, notamment en ce qui concerne la fourniture d’armes, de munitions, de nourriture, d’uniformes, de rations militaires et d’autres produits généralement destinés à approvisionner les troupes de la FPLC. Il participait de près à la prise des décisions relatives aux politiques de recrutement et il apportait un appui actif aux campagnes de recrutement, par exemple en prononçant des discours devant la population locale et les recrues. Au cours de l’allocution qu’il a prononcée au camp militaire de Rwampara, il a encouragé des enfants, y compris ceux qui avaient moins de 15 ans, à rejoindre les rangs de l’armée et à assurer la sécurité de la population après leur déploiement sur le terrain à l’issue de leur formation militaire. En outre, il a personnellement utilisé des enfants de moins de 15 ans comme gardes du corps et voyait régulièrement de tels enfants assurer la garde d’autres membres de l’UPC/FPLC. La Chambre a conclu que considérées ensemble, ces contributions de Thomas Lubanga étaient essentielles au regard d’un plan commun qui a abouti à la conscription et à l’enrôlement de garçons et de filles de moins de 15 ans dans l’UPC/FPLC, et à leur utilisation pour les faire participer activement à des hostilités.
La Chambre est convaincue auâ€delà de tout doute raisonnable que, comme indiqué plus tôt, Thomas Lubanga a agi avec l’intention et la connaissance requises - l’élément psychologique prévu à l’article 30 - pour que les charges soient considérées comme prouvées. Il avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence du conflit armé. En outre, il avait connaissance du lien qui existait entre ces circonstances et son propre comportement, qui a abouti à la conscription, l’enrôlement et l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans pour les faire participer activement à des hostilités.
Conclusion de la Chambre
Bien que les juges Odio Benito et Fulford aient joint au jugement des opinions individuelles et dissidentes concernant certaines questions particulières, la Chambre a pris sa décision à l’unanimité. La Chambre conclut que l’Accusation a prouvé auâ€delà de tout doute raisonnable que Thomas Lubanga Dyilo est coupable des crimes d’enrôlement et de conscription d’enfants de moins de 15 ans dans la FPLC et du fait de les avoir fait participer activement à des hostilités au sens des articles 8â€2â€eâ€vii et 25â€3â€a du Statut, de début septembre 2002 au 13 août 2003.
À la demande de Thomas Lubanga Dyilo et en application de l’article 76 2 du Statut de Rome, la Chambre consacrera une audience distincte à la fixation de la peine. Elle établira également les principes applicables aux réparations en faveur des victimes. La Défense a le droit d’interjeter appel de la déclaration de culpabilité dans un délai de 30 jours suivant la réception de la traduction française du Jugement. La peine du fondateur de l'Union des patriotes congolais (UPC) et ex-commandant en chef des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) sera prononcée lors d’une audience ultérieure. La peine maximale encourue devant la CPI est de trente ans de prison. En cas de crimes « d'extrême gravité », les juges peuvent condamner à la réclusion à perpétuité.
III. Réactions
L’ensemble des organisations internationales de défense des droits de l’homme se sont félicitées d’une décision « historique ». « Cette première décision de condamnation des juges de la CPI arrive à la fin du procès pilote de la Cour, qui a façonné les pratiques devant cette juridiction pénale internationale jeune et unique », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). « Ce procès a certainement contribué à mieux faire connaître la pratique du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats en RDC, mais également dans d’autres régions en guerre. La condamnation de Thomas Lubanga envoie un signal fort aux responsables de ces crimes internationaux qui ne sont pas à l’abri de poursuites », a déclaré Jean-Claude Katende, président de l’Association africaine des droits de l’Homme (Asadho). « Le verdict d'aujourd'hui fera réfléchir ceux qui à travers le monde se rendent coupables du crime consistant à utiliser et maltraiter des enfants, sur les champs de bataille et ailleurs (…) Il démontre que la CPI peut intervenir pour les traduire en justice », a de son côté réagi Michael Bochenek, directeur chargé du droit et de la stratégie politique à Amnesty International.
La FIDH s’est également félicitée du rôle joué par les 129 victimes (34 femmes, 95 hommes) participant au procès, comme le prévoient les statuts de la CPI. « Les victimes ont eu un apport essentiel au procès Lubanga. Elles ont exprimé leurs vues et préoccupations, aux différents stades de la procédure, ont pu contester notamment l’étendue limitée des charges à l’encontre de Lubanga et demander à ce que certains faits soient requalifiés afin que les crimes sexuels subis par les filles soldats soient mieux examinés », a déclaré Paul Nsapu, président de la Ligue des électeurs et secrétaire général de la FIDH. (http://www.fidh.org/Proces-de-Thomas-Lubanga-Dyilo)
L’ ONG Human Rights Watch, invite la CPI à enquêter sur le financement de la milice de Thomas Lubanga. Elle estime que le conflit auquel a participé l’ex-chef rebelle de l’Ituri, était international et non interne ;- la MONUSCO, « se réjouit de ce verdict et que cela pourrait décourager tous ceux qui s’adonnent à des activités de violence et d’atteinte aux droits humains », a déclaré son porte parole, Madnodje Mounoubai ;- le gouvernement congolais dit « avoir pris acte » du verdict de la CPI. Le ministre des droits humains, Luzolo Bambi, a déclaré que la RDcongo confirme, à travers cet arrêt, sa volonté de lutter efficacement contre l’impunité sous toutes ses formes ; le verdict de la CPI sur l’affaire Thomas Lubanga, rassure le MLC quant à l’issue positive du procès de leur leader, Jean Pierre Bemba, incarcéré aussi à la Haye. Par le fait que, Thomas Lubanga a été l’auteur principal des faits qui lui ont été reprochés par la cour contrairement à Jean Pierre Bemba ; en Ituri, la population est partagée. Certains pensent que c’est un sort mérité, pour d’autres par contre, veulent attendre les peines et une autre franche estime que Thomas Lubanga ne devrait pas être reconnu coupable, il devrait au contraire être relâché ; la ligue de la zone Afrique pour la défense des droits des enfants et élèves(LIZADEEL), estime que la condamnation de l’ancien chef milicien de l’Ituri est un signal fort, à l’endroit de tous ceux qui utilisent les enfants.
Par contre, l’Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas Lubanga a espéré jusqu’au bout que son leader sera acquitté par la Cour pénale internationale (CPI) lors du verdict attendu mercredi 14 mars. Selon son le président intérimaire de l’UPC, le procureur n’avait jamais su présenter des preuves suffisantes pour soutenir ses accusations. Le verdict dans le procès de Thomas Lubanga à la CPI était très attendu à Bunia, dans le district de l’Ituri, fief du leader de l’UPC en Province Orientale. Les radios locales en parlaient depuis lundi 12 mars comme d’un événement important. John Tinanzabo, député national et président par intérim de l’UPC, un groupe armé de l’Ituri reconverti en parti politique de l’opposition, reste très optimiste quant à ce verdict. Mais il n’exclut pas la condamnation de son leader qui serait alors, selon lui, « une surprise judiciaire de dernière minute ».
De son côté, la société civile du district de l’Ituri se réjouit de l’aboutissement « d’un procès qui a trop duré », bien qu’estimant que le verdict ne constituera pas un événement important. Son coordonnateur, Jean Bosco Lalo, affirment que les habitants de l’Ituri ne partagent pas la même perception du phénomène « enfant soldat » que la justice internationale. (http://radiookapi.net/actualite/2012/03/13/ituri-lupc-espere-lacquittement-de-thomas-mubanga-par-la-cpi/)
Chambre préliminaire i : L'Afrique à l'honneur (Prof. Philippe Weckel)
L'injustice de la justice ? (Prof Philippe Weckel, 8 mars 2009)
CPI/Darfour : bras de fer en perspective entre le Procureur et le Soudan quant à l’exécution des mandats d’arrêt émis pour les crimes commis au Darfour (Valérie GABARD, 17 juin 2007 Conseil de sécurité, résolution déférant la situation du Darfour à la CPI (Prof. P. WECKEL, 3 avril 2005)
CPI, ouverture d'une enquête sur le Darfour (A. SAMPO, 12 juin 2005)
CPI, liste des suspects du Darfour (A. SAMPO, 12 juin 2005)
Les juridictions pénales internationales et la coopération des Etats (R. ADJOVI, 22 octobre 2006)
Délicates poursuites de la CPI à l'encontre du président soudanais El Bashi
CPI/Soudan, venue du Président Omar Al Bashir à Djibouti : l’universalisme pénal mis à l'épreuve