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Soumis par Gouritin Armelle le 4 January 2015

Dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 la Cour de l’UE réunie en assemblée plénière a conclu que le projet d'accord d’adhésion de l’Union Européenne (UE) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe (CEDH) n’est pas compatible avec le droit de l’UE. La Commission a engagé cette procédure, sur le fondement de l’article 218§11 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE)

 

A première vue cet avis peut surprendre. En effet, des passerelles existent d’ores et déjà entre droit de l’UE et droit de la CEDH (c’est-à-dire la Convention telle qu’elle est interprétée et appliquée par la Cour EDH). L’article 6§3 du Traité sur l’Union Européenne (TUE)  prévoit que « Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la (CEDH) (…) font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ». Aussi, la Charte des droits fondamentaux de l’UE qui a acquis force obligatoire avec le Traité de Lisbonne prévoit à son article 52§3 le principe d’interprétation concordante (ou homogène) entre les droits garantis par elle-même et les droits garantis par la CEDH : « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue ».

Néanmoins, à l’examen de l’avis en question, il ressort que de nombreux problèmes se posent avec l'adhésion de l'UE à la CEDH. Pour l’essentiel, ces problèmes sont liés au statut de l'UE en tant que sujet du droit international et à l’exercice d’un contrôle juridictionnel « externe » à l’UE.

 

Conformément à l’objet de Sentinelle, cette note n’a pas pour prétention d'être un article (de nombreux articles seront sans aucun doute consacrés à cet avis). Aussi, dans cette note nous nous consacrerons aux aspects de l’avis les plus directement liés au droit international. Nous aborderons des aspects de cet avis liés à l’UE comme sujet atypique de droit international : l’UE compétente pour « dire le droit international », et la possibilité (et les difficultés) pour que le droit l’UE soit soumis à un contrôle externe. Dans le prochain bulletin nous évoquerons la question de la délicate responsabilité de l’UE au titre de violation des obligations issues de la CEDH (détermination du « bon défendeur » : Etats-Membres de l’UE et/ou UE elle-même, la question de l’imputation), la place intermédiaire de la CEDH dans l’ordre juridique de l’UE (telle qu’elle ressort de l’avis : place intermédiaire entre droit primaire et droit dérivé), et la question des réserves par des Etats-Membres de l’UE à la CEDH.

 

Avant tout il convient de donner le contexte de ces notes, à savoir la procédure d’adhésion de l’UE à une Convention internationale et les motifs de l’avis qui conclut à la non-compatibilité en question.

 

1. Cadre juridique de l’adhésion de l’UE à la CEDH, Convention internationale

L’adhésion de l’UE à la CEDH est prévue à l’article 6§2 du TUE (première phrase) : « L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ».

La possibilité pour l’UE d’adhérer à une Convention internationale est prévue par le Traité sur le Fonctionnement de l’UE (TFUE): « L'Union peut conclure un accord avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales lorsque les traités le prévoient ou lorsque la conclusion d'un accord, soit est nécessaire pour réaliser, dans le cadre des politiques de l'Union, l'un des objectifs visés par les traités, soit est prévue dans un acte juridique contraignant de l'Union, soit encore est susceptible d'affecter des règles communes ou d'en altérer la portée » (art. 216§1), « Les accords conclus par l'Union lient les institutions de l'Union et les États membres » (art. 216§2), et « L'Union peut conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières » (art. 217).

Dans le cadre de l’adhésion de l’UE à la CEDH, le droit de l’UE pose des conditions, conditions qui font l’objet du contrôle de la Cour rendu dans l’avis 2/13. Tout d’abord, l’article 6§2 du TUE (seconde phrase prévoit que « Cette adhésion ne modifie pas les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités ». Aussi, le protocole n°8 relatif à l’adhésion de l’UE à la CEDH encadre l’adhésion en précisant ce qui suit:

« Article premier

L'accord relatif à l'adhésion de l'Union à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après dénommée "Convention européenne"), prévue à l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, doit refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l'Union et du droit de l'Union, notamment en ce qui concerne:

a) les modalités particulières de l'éventuelle participation de l'Union aux instances de contrôle de la Convention européenne;

b) les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union, selon le cas.

Article 2

L'accord visé à l'article 1er doit garantir que l'adhésion de l'Union n'affecte ni les compétences de l'Union ni les attributions de ses institutions. Il doit garantir qu'aucune de ses dispositions n'affecte la situation particulière des États membres à l'égard de la Convention européenne, et notamment de ses protocoles, des mesures prises par les États membres par dérogation à la Convention européenne, conformément à son article 15, et des réserves à la Convention européenne formulées par les États membres conformément à son article 57.

Article 3

Aucune disposition de l'accord visé à l'article 1er ne doit affecter l'article 344 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »

 

2. Les motifs d’incompatibilité

D’emblée, il convient de relever que la Cour de l’UE n’a pas retenu l’avis de l’Avocat Général http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=160929&mode=lst&pageIndex=1&dir=&occ=first&part=1&text=&doclang=FR&cid=254035 qui, dans la « remarque finale » de sa prise de position (points 278 et 279), préconisait conclure que le projet d’accord est compatible avec le droit de l’UE, sous réserve de modifications :

« 278. L’examen du projet d’accord à la lumière des critères juridiques énoncés à l’article 6, paragraphe 2, TUE et dans le protocole n° 8 ainsi qu’à la lumière de la déclaration n° 2 n’a fourni aucun élément qui puisse sérieusement mettre en cause la compatibilité de l’adhésion envisagée de l’Union à la CEDH avec les traités. Ce projet nécessite uniquement quelques modifications ou compléments relativement mineurs, qui pourront être apportés sans grande peine.

279. Dans ces conditions, nous pensons qu’il ne serait pas très constructif de déclarer que, dans sa rédaction actuelle, le projet d’accord serait incompatible avec les traités. Au contraire, la Cour devrait poursuivre dans la ligne dont elle a jeté les bases dans son deuxième avis sur l’Espace économique européen et dire pour droit que le projet d’accord est compatible avec les traités à condition qu’y soient inscrits les modifications, compléments et précisions que nous avons proposés ».

 

La Cour n’a pas suivi la prise de position de l’Avocat Général et a émis l’avis selon lequel « L’accord portant adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas compatible avec l’article 6, paragraphe 2, TUE ni avec le protocole (n° 8) relatif à l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne sur l’adhésion de l’Union à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Pour ce faire, la Cour avance 4 motifs (repris au point 258):

« À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que l’accord envisagé, en tant que:

–      il est susceptible de porter atteinte aux caractéristiques spécifiques et à l’autonomie du droit de l’Union, dans la mesure où il n’assure pas la coordination entre l’article 53 de la CEDH et l’article 53 de la Charte, ne prévient pas le risque d’atteinte au principe de la confiance mutuelle entre les États membres dans le droit de l’Union et ne prévoit aucune articulation entre le mécanisme institué par le protocole n° 16 et la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE ;

–      il est susceptible d’affecter l’article 344 TFUE, dans la mesure où il n’exclut pas la possibilité que des litiges entre les États membres ou entre ces derniers et l’Union, relatifs à l’application de la CEDH dans le champ d’application matériel du droit de l’Union, soient portés devant la Cour EDH ;

–      il ne prévoit pas des modalités de fonctionnement du mécanisme du codéfendeur et de la procédure de l’implication préalable de la Cour qui permettent de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et de son droit, et

–      il méconnaît les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel des actes, actions ou omissions de l’Union en matière de PESC, dans la mesure où il confie le contrôle juridictionnel de certains de ces actes, actions ou omissions exclusivement à un organe externe à l’Union ».

 

3. L’UE, sujet atypique du droit international

Nous pouvons maintenant passer à l’examen de deux aspects de l’avis en lien avec le droit international, à savoir la compétence que l’UE semble s’attribuer pour dire le droit international et les difficultés pour que l’UE se soumette à un contrôle juridictionnel externe. Ces aspects renvoient au caractère atypique de l’UE en tant que sujet du droit international. Cette question n’est pas nouvelle. De nombreux écrits et arrêts ont traité ou soulevé ces questions.

Les particularités de l’UE comme sujet du droit international sont relevées par la Cour de l’UE dans son avis (points 155 à 177). Les points 155 à 159 sont particulièrement clairs :

« 155. En effet, depuis l’adoption de la CEDH, seules des entités étatiques pouvaient y être parties, ce qui explique que, à ce jour, cette convention ne lie que des États. Cela est d’ailleurs corroboré par la circonstance que, afin de permettre l’adhésion de l’Union, non seulement l’article 59 de la CEDH a été modifié, mais l’accord envisagé lui-même contient une série de modifications de cette convention pour rendre cette adhésion opérationnelle dans le cadre du système qu’elle-même établit.

156. Or, ces modifications se justifient précisément par la circonstance que, contrairement à toute autre Partie contractante, l’Union, du point de vue du droit international, ne peut pas, en raison de sa nature même, être considérée comme un État.

157. En effet, comme la Cour l’a itérativement constaté, les traités fondateurs de l’Union ont, à la différence des traités internationaux ordinaires, instauré un nouvel ordre juridique, doté d’institutions propres, au profit duquel les États qui en sont membres ont limité, dans des domaines de plus en plus étendus, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement ces États, mais également leurs ressortissants (voir, notamment, arrêts van Gend & Loos, 26/62, EU:C:1963:1, p. 23, et Costa, 6/64, EU:C:1964:66, p. 1158, ainsi que avis 1/09, EU:C:2011:123, point 65).

158. Or, la circonstance que l’Union est dotée d’un ordre juridique d’un genre nouveau, ayant une nature qui lui est spécifique, un cadre constitutionnel et des principes fondateurs qui lui sont propres, une structure institutionnelle particulièrement élaborée ainsi qu’un ensemble complet de règles juridiques qui en assurent le fonctionnement, entraîne des conséquences en ce qui concerne la procédure et les conditions d’une adhésion à la CEDH.

159. C’est précisément en considération de cette circonstance que les traités soumettent cette adhésion au respect de diverses conditions » (nous soulignons).

 

4. L’UE, sujet atypique du droit international. L’UE compétente pour « dire le droit international » ?

Distincte de la compétence de la Cour de l’UE pour dire le droit de l’UE (droit primaire et droit dérivé), la question que nous abordons (et que la Cour et l’Avocat Général abordent) est celle de savoir qui, de la Cour de l’UE ou de la CourEDH, est compétente pour dire le droit de la CEDH lorsque le droit de l’UE est en cause pour son incompatibilité avec le droit de la CEDH (dans les cas potentiels de conflits entre Etats-Membres ou entre l’UE et des Etats-Membres). Est-ce qu’il s’agit de la juridiction de la Cour de l’UE ou de celle de la CourEDH ?

L’Avocat Général Mme Julianne Kokott abonde dans le sens d’une compétence de la Cour de l’UE. Tout d’abord, l’Avocat Général relève que du fait de l’adhésion de l’UE à la CEDH, le droit de la CEDH fera partie intégrante du droit de l’UE (l’Avocat Général fait référence aux arrêts Haegeman - 181/73, EU:C:1974:41, point 5; IATA et ELFAA - C-344/04, EU:C:2006:10, point 36; et Air Transport Association of America e.a. - C-366/10, EU:C:2011:864, point 73). Or, la Cour de l’UE a un monopole de juridiction (art. 344 du TFUE), d’interprétation du droit de l’UE en dernière instance et de manière contraignante et de monopole du contrôle de légalité des actes des institutions, organes et autres organismes de l’Union (avec quelques exceptions pour le contrôle de légalité, exceptions liées à la PESC – Politique Etrangère et de Sécurité Commune). Dès lors, l’Avocat Général abonde dans le sens de la compétence de la Cour de l’UE, y-compris via la procédure des questions préjudicielles.

La priorité de la Cour de l’UE est exprimée de manière très claire aux points 139 à 141 :

«139. Comme nous l’avons déjà expliqué, en effet, la CEDH deviendra, du seul fait de l’adhésion de l’Union, partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, de sorte que notre Cour sera compétente à l’interpréter suivant la procédure préjudicielle (article 267 TFUE). Son rôle dans l’interprétation de la CEDH à l’intérieur de l’Union pourrait cependant être menacé en raison du fait que les juridictions supérieures des États membres ayant ratifié le protocole additionnel n° 16 à la CEDH pourraient être tentées, en application des dispositions de celui-ci, d’adresser leurs questions d’interprétation de la CEDH à la Cour EDH plutôt qu’à notre Cour.

140. En définitive, ce phénomène n’est cependant pas une conséquence de l’adhésion de l’Union à la CEDH. Même en l’absence de l’adhésion envisagée, les juridictions des États membres ayant ratifié le protocole additionnel n° 16 peuvent saisir la Cour EDH de question d’interprétation de la CEDH relatives à des droits fondamentaux au lieu de se tourner vers notre Cour pour lui poser des questions d’interprétation de la Charte, qui seraient identiques d’un point de vue matériel. 

141. Pour résoudre ce problème, il suffit de revenir à l’article 267, paragraphe 3, TFUE, qui impose aux juridictions des États membres dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours l’obligation de saisir notre Cour. L’article 267, paragraphe 3, TFUE a la primauté sur le droit national et, partant, sur un éventuel accord international que certains États membres de l’Union auraient ratifié, comme c’est le cas du protocole additionnel n° 16 à la CEDH. Il en découle que, pour autant qu’elles aient à statuer sur un litige relevant du champ d’application du droit de l’Union, les juridictions des États membres statuant en dernière instance doivent adresser leurs questions sur les droits fondamentaux par priorité à notre Cour et se conformer à ses décisions par priorité ».

La Cour de l’UE suit l’Avocat Général sur ce point. La Cour de l’UE attribue au droit de la CEDH le statut de droit de l’UE du fait de l’adhésion (point 180 : « du fait de l’adhésion, la CEDH, comme tout autre accord international conclu par l’Union, lierait, en vertu de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, les institutions de l’Union et les États membres et ferait, dès lors, partie intégrante du droit de l’Union” et en tire les conséquences par exemple au point 204 de l’Avis : « Par conséquent, lorsque celui-ci est en cause, la Cour est exclusivement compétente pour connaître de tout litige entre les États membres ainsi qu’entre ces derniers et l’Union au sujet du respect de cette convention”.

 

5. L’UE, sujet atypique du droit international. Possibilité (et difficultés) pour que le droit l’UE soit soumis à un contrôle juridictionnel externe

Liée à la question de la juridiction de la Cour de l’UE pour dire le droit de la CEDH (vue ci-dessus), se pose la question plus générale de la possibilité pour l’UE de se soumettre à un contrôle externe.

Cette question est abordée dans l’Avis de la Cour. Elle y rappelle qu’ « un accord international, prévoyant la création d’une juridiction chargée de l’interprétation de ses dispositions et dont les décisions lient les institutions, y compris la Cour, n’est, en principe, pas incompatible avec le droit de l’Union, ce qui est d’autant plus le cas lorsque, comme en l’occurrence, la conclusion d’un tel accord est prévue par les traités eux-mêmes. En effet, la compétence de l’Union en matière de relations internationales et sa capacité à conclure des accords internationaux comportent nécessairement la faculté de se soumettre aux décisions d’une juridiction créée ou désignée en vertu de tels accords, pour ce qui concerne l’interprétation et l’application de leurs dispositions” (point 182, nous soulignons).

La Cour poursuit en limitant ce principe de possibilité de contrôle externe: “Toutefois, la Cour a également précisé qu’un accord international ne peut avoir des incidences sur ses propres compétences que si les conditions essentielles de préservation de la nature de celles-ci sont remplies et que, partant, il n’est pas porté atteinte à l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union (…)” (point 183). “En particulier, l’intervention des organes investis de compétences décisionnelles par la CEDH, telle que prévue dans l’accord envisagé, ne doit pas avoir pour effet d’imposer à l’Union et à ses institutions, dans l’exercice de leurs compétences internes, une interprétation déterminée des règles du droit de l’Union (…)” (point 184). “Or, il est certes inhérent à la notion même de contrôle externe que, d’une part, l’interprétation de la CEDH fournie par la Cour EDH lierait, en vertu du droit international, l’Union et ses institutions, y compris la Cour, et que, d’autre part, l’interprétation donnée par la Cour d’un droit reconnu par cette convention ne lierait pas les mécanismes de contrôle prévus par cette dernière et, tout particulièrement, la Cour EDH, comme il est prévu à l’article 3, paragraphe 6, du projet d’accord et précisé au paragraphe 68 du projet de rapport explicative” (point 185). 

Comme souligné par l’Avocat Général, il s’agit là du nœud du problème : la possibilité juridique pour l’UE de se soumettre à un contrôle juridictionnel externe. Les points 163 et 164 sont particulièrement clairs :

« 163. À aucun endroit, le projet d’accord ne précise expressément que l’Union sera soumise à la juridiction de la Cour EDH. Néanmoins ce projet implique nécessairement qu’à l’instar de toutes les autres parties contractantes à la CEDH, la Cour reconnaisse cette juridiction par l’effet de son adhésion à la CEDH.

164. Comme de nombreuses parties à la procédure l’ont souligné, cet élément de contrôle juridictionnel externe du respect de normes élémentaires en matière de droits fondamentaux apportera le principal changement par rapport à la situation juridique actuelle et il est généralement considéré comme la véritable plus-value qu’apportera l’adhésion envisagée de l’Union à la CEDH. La reconnaissance de la juridiction de la Cour EDH par l’Union devrait être considérée non pas comme un simple geste de soumission, mais bien comme l’occasion d’intensifier le dialogue qu’en juridictions authentiquement européennes, notre Cour et la Cour EDH entretiennent d’ores et déjà (voir en ce sens également la deuxième phrase de la déclaration n° 2). Idéalement, cette coopération entraînera un renforcement de la protection des droits fondamentaux en Europe et contribuera ainsi à la réalisation des valeurs fondamentales sur lesquelles l’Union est fondée (article 2 TUE) ».

 

L’Avocat Général évoque ensuite un point discuté lors de la procédure devant la Cour de l’UE : la question de savoir si l’UE doit se conformer aux arrêts de la CourEDH. Ce point sera abordé dans la note du bulletin de la semaine prochaine, lorsque nous aborderons la question des spécificités de la responsabilité de l’UE au regard des mécanismes du droit de la CEDH.

 

Pour conclure la première  note consacrée à cet avis, on peut s’interroger sur les raisons sous-jacentes (c’es-à-dire au delà des questions du respect des spécificités de l’UE en tant que sujet du droit international) qui rendent délicate l’adhésion de l’UE à la CEDH. 

 

Peut-être qu’une des raisons sous-jacentes de la difficile adhésion de l’UE à la CEDH et de la difficile reconnaissance de la juridiction de la CourEDH tient au fait que les deux Cours (et les deux ordres juridiques) n’ont pas le même centre de gravité. Pour schématiser de manière un peu caricaturale, le droit de l’UE aurait comme centre de gravité l’intégration (et notamment l’intégration économique), alors que le centre de gravité du droit de la CEDH résiderait dans le respect des droits garantis par la Convention.

Cette manière caricaturale d’exposer ces moteurs distincts de protection du (des) droit(s) apparaît de manière très explicite dans l’avis et la prise de position de l’Avocat Général à divers endroits. Entre autres:

« Il est possible que la Cour EDH ne définira pas toujours l’équilibre entre les exigences de la protection des droits fondamentaux, d’une part, et les impératifs de l’intérêt général ou des intérêts économiques, d’autre part, exactement de la même manière que notre Cour l’a fait jusqu’à présent dans sa jurisprudence. Dans cette mesure-là, le fait que les institutions de l’Union seront liées par la jurisprudence de la Cour EDH en raison de l’adhésion imminente de l’Union à la CEDH pourrait parfaitement entraîner un glissement d’accent, par exemple, dans la relation entre les droits fondamentaux et les libertés fondamentales du marché intérieur européen. Cette éventuelle évolution serait toutefois une conséquence inéluctable de l’adhésion de l’Union à la CEDH et de la reconnaissance de la juridiction de la Cour EDH telles que les auteurs du traité de Lisbonne les ont posées en prémisse à l’article 6, paragraphe 2, première phrase, TUE et à l’article 1er, sous a), du protocole n° 8 » (prise de position, point 206).

Et:

« La poursuite des objectifs de l’Union, tels que rappelés à l’article 3 TUE, est, pour sa part, confiée à une série de dispositions fondamentales, telles que celles prévoyant la liberté de circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes, la citoyenneté de l’Union, l’espace de liberté, de sécurité et de justice ainsi que la politique de concurrence. Ces dispositions, s’insérant dans le cadre d’un système propre à l’Union, sont structurées de manière à contribuer, chacune dans son domaine spécifique et avec ses caractéristiques particulières, à la réalisation du processus d’intégration qui est la raison d’être de l’Union elle-même » (avis, point 172).

Bulletin numéro 416
Adhésion
CEDH
Compétence pour dire le droit
Contrôle juridictionnel externe
Spécificités du droit de l'UE
Sujet du droit international
Union européenne (UE)