Depuis son indépendance, le 12 décembre 1963, le Kenya connaît une histoire agitée, surtout depuis les années 90.
Lors de l'élection présidentielle du Kenya du 27 décembre 2007, Raila Odinga reçut le soutien massif des provinces de Nyanza, de la vallée du Rift et de la côte mais aussi de personnalités emblématiques telle Wangari Maathai. Dans la soirée du 30 décembre 2007, Samuel Kivuitu, qui venait juste d'être reconduit, pour cinq ans, par Kibaki à son poste de président de la commission électorale (Electoral Commission of Kenya), déclara Raila Odinga battu par 232 000 voix de différence en faveur du président sortant contrairement aux tendances des derniers résultats enregistrés. Controversée par les observateurs de l'Union européenne qui demandèrent un recomptage des bulletins de vote, cette annonce fut immédiatement contestée par le camp de Raila et entraîna la plus grande crise de violence survenue au Kenya avec 1500 morts et au moins 300 000 déplacés. Le 28 février 2008, grâce à la médiation de Kofi Annan, l'ancien Secrétaire général des Nations unies, un accord de partage du pouvoir entre le président Kibaki et Raila fut signé, et entériné à l'unanimité par le Parlement le 18 mars, pour résoudre la crise. Il se matérialisa par la nomination de Raila Odinga au poste de Premier ministre le 13 avril suivant. Quatre jours plus tard, il prêta serment et un gouvernement de coalition fut constitué.
Le 5 novembre 2009, le Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) informa le Président de la Cour de son intention de demander l’autorisation d’ouvrir une enquête sur la situation au Kenya, conformément à l’article 15-3 du Statut de Rome , en relation avec les violences post-électorales de 2007-2008 au Kenya.
Le 31 mars 2010, la Chambre préliminaire II fit droit, à la majorité de ses membres, à la demande, déposée par le Procureur, d’autorisation d’ouvrir une enquête sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis au Kenya. L’enquête portait sur des crimes contre l’humanité commis entre le 1er juin 2002 (la date d’entrée en vigueur du Statut de Rome pour le Kenya) et le 26 novembre 2009 (la date à laquelle le Procureur a demandé l’autorisation d’ouvrir une enquête).
Le 8 mars 2011, la Chambre préliminaire II statua sur les demandes introduites par le Procureur, décidant, à la majorité de ses membres, de citer Francis Kirimi Muthaura, Uhuru Muigai Kenyatta et Mohammed Hussein Ali à comparaître devant la Cour.
Le 23 janvier 2012, les juges de la Chambre préliminaire II refusèrent de confirmer les charges à l’encontre de M. Ali. La Chambre confirma les charges à l’encontre de M. Muthauraet et de M. Kenyatta et renvoya ces derniers en procès devant les juges de première instance. Le 18 mars 2013, les charges portées à l’encontre de Francis Kirimi Muthaura furent retirées.
M. Kenyatta était accusé[1] d’être pénalement responsable en tant que coauteur indirect, au sens de l’article 25-3-a du Statut de Rome, des crimes contre l’humanité suivants:
- meurtre (article 7-l-a) ;
- déportation ou transfert forcé de population (article 7-l-d);
- viol (article 7-l-g);
- persécution (article 7-l-h); et
- autres actes inhumains (article 7-l-k).
Le 4 mars 2013, la population kenyane fut appelée aux urnes afin d'élire un nouveau dirigeant à la tête du pays ainsi que les membres du futur gouvernement. Le scrutin s'annonçait assez serré. Si Huit personnalités présentèrent leurs candidatures à la présidentielle, deux candidats se démarquaient : Raila Odinga, Premier ministre depuis trois mandats, et Uhuru Kenyatta, le Vice-premier ministre. C'était la première fois qu'une élection présidentielle à deux tours était tenue au Kenya. Un mois après le vote, les résultats, approuvés par la cour kenyane relativement à la transparence du processus, étaient connus. Uhuru Kenyatta arriva en tête avec 50,7% des suffrages et seulement 8000 voix au-dessus de la majorité absolue. Cependant, une polémique fit rage relativement à cette élection. En effet, le nouveau président était accusé par la Cour pénale internationale de crimes contre l'humanité et d’avoir joué un rôle important dans les violences post électorales de 2007, alors qu'il était à la tête de l'opposition officielle. Les pays occidentaux se retrouvaient donc dans une situation plutôt délicate à la suite de l'accusation d'Uhuru Kenyatta dont le procès devait débuter à La Haye le 12 novembre 2014. D'une part, il aurait été le premier chef d'État en exercice jugé par la CPI. D’autre part, il était un allié précieux dans la lutte contre le terrorisme et incitait les pays africains à s'unir pour combattre Al-Qaïda et pour aider à stabiliser la Somalie, foyer du groupe d'Al-Shabab lié à Al-Qaïda. Or, comme l'a démontré l'attentat terroriste du 21 septembre 2013, perpétré par le groupe d'Al-Shabab où 62 otages furent tués, cette menace est encore bien présente. Ce qui explique, en grande partie, pourquoi les pays occidentaux conservèrent un silence prudent sur cette affaire.
Le président kenyan, Uhuru Kenyatta, se présenta, mercredi 8 octobre 2014, devant la Cour pénale internationale. Il fut le premier chef d'Etat à accepter d'y comparaître depuis la création de la CPI, en 2002.
Uhuru Kenyatta, convoqué pour évoquer les difficultés de l'enquête dans son procès pour crimes contre l'humanité, assista au début de l'audience sous le regard de dizaines de partisans présents dans la galerie du public, pleine à craquer.
La Procureur accusa Nairobi de ne pas coopérer avec la CPI en refusant notamment de lui transmettre des relevés bancaires ou téléphoniques. Ces derniers pourraient prouver, selon elle, que M. Kenyatta avait orchestré une partie des violences politico-éthniques qui avaient suivi l'élection présidentielle de 2007.
En 2012, la CPI avait décidé de poursuivre, dans deux procès séparés, plusieurs membres de chacun des camps qui s'étaient affrontés lors de ces violences. Depuis son élection à la tête du pays, en mars 2012, Uhuru Kenyatta avait multiplié les tentatives pour obtenir la clôture de l'affaire. L'Union africaine s'était même mobilisée pour plaider sa cause devant le Conseil de sécurité des Nations unies à la mi-novembre 2014. L'instance onusienne a en effet le pouvoir légal de suspendre des poursuites si elles présentent un risque pour la paix et la sécurité internationale.
Le procès du président kenyan devait initialement s'ouvrir en septembre 2013, mais il fut reporté à de nombreuses reprises sur fond d'accusations d’intimidations de témoins.
L’abandon des poursuites se fit en deux temps : le 3 décembre 2014, la Chambre rejeta la demande d’ajournement avant que la Procureur n’abandonne les poursuites le 5 décembre 2014.
I : rejet de la demande d'ajournement du procès :
Le 3 décembre 2014, la Chambre prit deux décisions: l'une relative au manque de coopération du Kenya avec la CPI et l'autre rejetant la demande d'ajournement du procès.
A : manque de coopération du Kenya :
Le 29 novembre 2013, l'Accusation demanda à la Chambre de prendre acte d'un manque de coopération du Gouvernement kenyan, alléguant que le Gouvernement ne s'était pas conformé à une demande de produire des documents financiers et d'autres documents relatifs à M. Kenyatta.
Après avoir examiné les arguments des parties et participants sur cette question, la Chambre rejeta la demande de référer cette question à l'Assemblée des États Parties. Après une évaluation détaillée, la Chambre conclut que l'approche du Gouvernement du Kenya concernant la coopération n'avait pas respecté la norme de bonne foi dans la coopération qui est exigée des États parties en vertu du Statut de Rome et qu’il n'avait pas pris de mesures significatives pour exiger la production des documents demandés par le Procureur de la CPI. Selon la Chambre de première instance V (b), ce manquement affecta la capacité de la Cour de s'acquitter de ses fonctions et pouvoirs, et en particulier, de la fonction attribuée à la Chambre en vue de la recherche de la vérité.
Cependant, concernant le potentiel de contribuer à un procès équitable qu'aurait un référé à l'AEP, la Chambre a noté son rejet de la demande d'ajournement et, entre autres, le retard de l'Accusation dans la conduite de ses enquêtes et dans le suivi de la demande de coopération. Elle souligna que la question du manquement du Gouvernement du Kenya, concernant la demande de l'Accusation, aurait dû être soulevée à un stade bien antérieur et estima que cela aurait atténué de façon significative l'impact que ce manquement a eu sur la procédure dans cette affaire.
En conclusion, malgré l'expression de fortes préoccupations concernant l'approche du Gouvernement du Kenya, la Chambre a exercé son pouvoir discrétionnaire en ne référant pas cette question à l'Assemblée des États Parties, étant donné que la Chambre n'était pas convaincue que ceci faciliterait un procès équitable, servirait les intérêts de la justice, ou serait approprié compte tenu des circonstances particulières. Les parties pouvaient demander l'autorisation de la Chambre de faire appel de ces décisions.
Dans une décision distincte du 3 décembre 2014, la Chambre rejeta une demande de l'Accusation de prendre acte de la non-coopération du Gouvernement kenyan et d'en référer à l'Assemblée des États Parties (AEP) au Statut de Rome de la CPI.
Le 3 décembre 2014, les juges de la Chambre de première instance V (B) de la Cour pénale internationale (CPI) conclurent que les autorités kenyanes n'avaient pas suffisamment coopéré dans le cadre des enquêtes menées par le Bureau du procureur s'agissant de l'affaire portée contre M. Kenyatta et que ce défaut de coopération avait nui à leur recherche de la vérité en l'espèce : « la Chambre conclut que, à maintes reprises, les autorités kenyanes […] n'ont pas coopéré de bonne foi » et « que ce manquement peut être qualifié de non coopération » telle qu'elle est définie dans le Statut de Rome.
Dans sa décision, la Chambre conclut par conséquent que le défaut de coopération des autorités kenyanes a non seulement empêché l'Accusation de mener une enquête approfondie à propos des accusations en question, mais a également fini par compromettre la capacité de la Chambre à s'acquitter de ses fonctions conformément à l'article 64, et notamment, à rechercher la vérité conformément à l'article 69-3 du Statut ». Il s'agit là d'un constat particulièrement important.
Les juges se prononcèrent ainsi sur le degré de coopération fournie par les autorités kenyanes dans le cadre de l'affaire Kenyatta. Contrairement à ce qu'avait annoncé publiquement le Gouvernement kenyan, à savoir qu'il s'était acquitté pleinement de ses obligations juridiques en l'espèce, la décision rendue par la Chambre confirma que celui-ci avait manqué à ses obligations découlant du Statut de Rome en ne coopérant pas dans le cadre de l’enquête.
La Procureur n’eut de cesse de solliciter les autorités kenyanes pour qu'elles coopèrent avec mon Bureau en l'espèce afin que celui-ci puisse remplir sa mission. Des documents primordiaux quant aux violences post électorales de 2007 et de 2008, notamment en ce qui concerne le comportement de l'accusé, ne se trouvent qu'au Kenya. L'Accusation ne peut les consulter qu'avec l'assistance des autorités kenyanes. En fin de compte, cette assistance indispensable n'a jamais été fournie, ce qui a été confirmé par la Chambre de première instance dans sa décision.
En plus de ce défaut de coopération de la part du Gouvernement kenyan, le Bureau du procureur a été confronté à une série d'obstacles majeurs qui l'ont empêché d'enquêter de manière approfondie sur les violences post électorales survenues en 2007 et 2008, et qui ont eu raison des enquêtes en l'espèce. Le Bureau fut notamment confronté aux difficultés suivantes :
- Un flux constant d'informations dénuées de tout fondement fut véhiculé dans les médias à propos des affaires relatives au Kenya ;
- Une campagne sans précédent fut menée dans les médias sociaux en vue de dévoiler l'identité de témoins protégés dans le cadre des affaires relatives au Kenya ;
- De vastes initiatives concertées furent prises en vue de harceler, d'intimider et de menacer des individus qui souhaitaient témoigner.
Il va sans dire que la non-transmission de certains documents importants par les autorités kenyanes eut des répercussions fâcheuses sur cette affaire. Ce comportement a, en premier lieu, privé les victimes de leur droit à connaître toute la vérité sur les événements survenus en 2007 et en 2008. Il a, en second lieu, entravé la capacité du Procureur à mener une enquête à son terme. Et il a, en dernier lieu, empêché les juges d'exercer leurs fonctions essentielles consistant à évaluer les éléments de preuve et à établir la vérité.
Enfin, les obstacles rencontrés en tentant d'obtenir la coopération nécessaire pour mener l’enquête ont globalement retardé et entravé, dans une large mesure, le cours de la justice pour les victimes dans le cadre de cette affaire.
B : rejet de la demande d’ajournement :
Le 3 décembre 2014, la Chambre de première instance V(B) de la Cour pénale internationale (CPI) a également rendu une décision rejetant la demande de l'Accusation aux fins d'un nouvel ajournement de l'affaire à l'encontre d'Uhuru Kenyatta ainsi que la demande de la Défense de mettre fin à la procédure. La Chambre a ordonné à l'Accusation de déposer, dans une semaine au plus tard, un avis indiquant soit (i) le retrait des charges dans cette affaire, soit (ii) que le niveau d'éléments de preuve s'est amélioré à un degré qui justifierait la tenue d'un procès.
Dans sa décision rejetant la demande de l'Accusation aux fins d'un nouvel ajournement de l'affaire, la Chambre nota un certain nombre d'éléments, y compris le fait que l'Accusation avait reconnu que les éléments de preuve demeuraient insuffisants pour soutenir une déclaration de culpabilité et qu'on ne pouvait savoir à l’avance si l'information recherchée dans sa demande de coopération serait, si obtenue, suffisante pour étayer les charges. La Chambre releva également le droit de l'accusé à être jugé sans retard excessif et à la présomption de son innocence et conclut qu'un autre ajournement serait contraire aux intérêts de la justice dans ces circonstances. Elle tint compte des intérêts légitimes des victimes, y compris celui de voir les responsables de crimes traduits en justice. Toutefois, la Chambre souligna que ces intérêts devaient être en équilibre avec d'autres intérêts de la justice, et, à la lumière des circonstances, constata qu'il ne serait pas dans l'intérêt de la justice, ou des victimes, que la procédure fut encore ajournée.
Ayant statué sur la demande d'ajournement, la Chambre indiqua que l'approche appropriée serait un retrait des charges par l'Accusation, à moins que le niveau d'éléments de preuve ne se fut suffisamment amélioré pour permettre la poursuite du procès. En outre, elle ajouta qu’en d'un retrait des charges, sa décision ne porterait pas atteinte au droit de l'Accusation de présenter de nouvelles charges contre l'accusé à une date ultérieure, sur la base des circonstances de fait identiques ou similaires, si l'Accusation obtenait des éléments de preuve suffisants pour soutenir cette approche.
Le 3 décembre 2014, la Chambre de première instance V(B) rendit donc une décision rejetant la demande de l'Accusation aux fins d'un nouvel ajourne ment de l'affaire à l'encontre d'Uhuru Kenyatta et a ordonné à l'Accusation d’indiquer soit le retrait des charges, soit sa disposition pour le procès.
II : Abandon des poursuites :
Le 5 décembre 2014, l’Accusation abandonna les charges contre M. Kenyatta. La Procureur indiqua que compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait à l'heure actuelle en l'espèce, elle n’avait pas d'autre choix que d'abandonner les charges mais que ceci était sans préjudice de la possibilité de présenter une nouvelle affaire si de nouveaux éléments de preuve étaient portés à sa connaissance.
Comme le 3 décembre 2014, les juges de la Chambre de première instance V (B) de la Cour pénale internationale avaient refusé tout nouveau report du procès de M. Uhuru Muigai Kenyatta, le 5 décembre 2014, la Procureur déposa une notification aux fins du retrait de ces charges et cela sans préjudice de la possibilité de présenter une nouvelle affaire si de nouveaux éléments de preuve étaient portés à sa connaissance.
La Procureur reconnut que c’était un moment douloureux pour les hommes, les femmes et les enfants qui avaient terriblement souffert de l'horreur des violences post électorales et qui avaient patiemment attendu, pendant près de sept ans, que justice leur soit rendue.
725 victimes participaient à la procédure dans l’affaire Kenyatta.
La Procureur justifia sa décision en précisant : « J'ai décidé d'abandonner les charges contre M. Kenyatta après avoir soigneusement examiné toutes les preuves dont je dispose. Cette décision est fondée sur les faits propres à l'espèce et rien d'autre. En ma qualité de Procureur, j'agis et je prends mes décisions en fonction du droit et des éléments de preuve dont je dispose.
Malgré mon engagement personnel pour que justice soit rendue et que les responsables rendent des comptes aux Kenyans qui ont été la cible des terribles violences qui ont secoué Nakuru et Naivasha après les élections de 2007, je ne peux engager de procès que lorsque l'accusé sera vraisemblablement reconnu coupable sur la base des éléments de preuve à ma disposition. Sans cette perspective, il est de mon devoir en tant que Procureur de retirer les charges à l'encontre de l'accusé.
Vous vous rappelez sans doute que, le 5 septembre 2014, j'ai prié la Chambre de première instance de reporter l'ouverture du procès de M. Kenyatta jusqu'à ce que les autorités kenyanes exécutent pleinement la demande modifiée de consultation de dossiers présentée par l'Accusation en avril 2014. J'avais alors informé la Chambre que je disposais des mêmes éléments de preuve que lorsque j'avais demandé un report du procès en décembre 2013 et que, par conséquent, ces éléments ne suffisaient pas à établir la responsabilité pénale présumée de M. Kenyatta au-delà de tout doute raisonnable, tel que requis à la phase du procès.
Malgré mes efforts persistants et ceux de mon équipe dévouée pour la bonne marche de la justice au Kenya, en l'espèce, ceux qui ont cherché à entraver son cours ont pour l'instant privé le peuple kenyan de la justice qu'il mérite.
J'ai expliqué aux Kenyanes et aux Kenyans les difficultés de taille auxquelles mon Bureau s'est heurté dans le cadre de son enquête sur M. Kenyatta. Le Bureau a notamment été confronté aux difficultés suivantes : plusieurs personnes, qui détenaient des informations cruciales quant aux agissements de M. Kenyatta, sont décédées, tandis que d'autres sont trop terrifiées pour témoigner à charge; des témoins clés, qui avaient communiqué des éléments de preuve en l'espèce, ont fini par retirer leur témoignage ou changer leur version des faits, notamment des témoins qui ont par la suite allégué avoir menti à mon Bureau à propos de leur présence à des réunions cruciales ; et le défaut de coopération de la part du Gouvernement kényan a entravé la capacité de l'Accusation à mener des enquêtes approfondies sur les charges, ce que la Chambre de première instance a récemment confirmé.
J'abandonne les charges à l'encontre de M. Kenyatta parce que, pour le moment, je ne pense pas que nous soyons pleinement en mesure d'enquêter sur les crimes en cause et d'engager des poursuites à ce sujet. L'abandon des charges ne signifie en aucune façon que l'affaire est définitivement close. M. Kenyatta n'a pas été acquitté, et l'affaire peut être ré-ouverte, ou présentée différemment, si de nouveaux éléments de preuve établissant les crimes ainsi que sa responsabilité sont découverts. Mon Bureau continuera à recevoir et à examiner les informations susceptibles de révéler qui sont les responsables des violences post électorales de 2007-2008, et évaluera, à ce stade, au vu de la situation actuelle au Kenya, les mesures pouvant concrètement et raisonnablement être prises en relation avec les crimes commis à Nakuru et à Naivasha en 2007 et en 2008.
Cependant, j'aimerais dire quelques mots à propos du fait que les autorités kenyanes n'ont pas coopéré pleinement et efficacement dans le cadre de l'enquête que nous menions en l'espèce. Depuis que l'Accusation a adressé une demande modifiée aux autorités kenyanes le 8 avril 2014, les éléments produits par ces dernières ne correspondent tout simplement pas à un grand nombre des documents que nous avions demandés. En résumé, nous n'avons pas reçu la plupart des documents que nous voulions consulter et ce, bien que les juges de la Cour aient clairement confirmé la validité de notre demande modifiée et rejeté toutes les objections formulées par lesdites autorités.
En l'espèce, les documents les plus intéressants quant aux violences post électorales ne se trouvaient qu'au Kenya. Or, bien qu'elles nous aient assurés qu'elles étaient disposées à coopérer avec la Cour, les autorités de ce pays n'ont pas tenu leur promesse.
Au final, les obstacles que nous avons rencontrés en tentant d'obtenir la coopération nécessaire pour mener notre enquête ont globalement retardé et entravé, dans une large mesure, le cours de la justice pour les victimes dans le cadre de cette affaire.
Enfin, la date d'aujourd'hui marque une journée sombre dans l'histoire de la justice pénale internationale. Malgré tout, je suis fermement convaincue que la décision prise aujourd'hui ne marque pas un point final en matière de justice ou d'obligation de rendre des comptes s'agissant des crimes subis par les Kenyanes et les Kenyans en 2007 et 2008, crimes pour lesquels justice doit être rendue. »
[1] La Chambre préliminaire II conclut qu’il y avait des motifs substantiels de croire que:
- Du 24 au 28 janvier 2008, l’organisation criminelle des Mungiki aurait mené une attaque généralisée et systématique contre la population non kikuyu qu’ils tenaient pour fidèle au Mouvement démocratique orange (Orange Democratic Movement, ODM) (population appartenant principalement aux groupes ethniques luo, luhya et kale njin) à Nakuru et Naivasha.
-Les attaques sur ou aux alentours de Nakuru et Naivasha se seraient soldées par un grand nombre de morts, le déplacement de milliers de personnes, des viols, des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes, des souffrances mentales et des destructions de biens.
- Entre au moins novembre 2007 et janvier 2008, Kenyatta et des membres des Mungiki et d’autres personnes, auraient conçu un plan commun en vue de lancer ces attaques.
- La contribution apportée par Uhuru Muigai Kenyatta à la mise en œuvre du plan commun aurait été essentielle. Plus spécifiquement, cette contribution aurait consisté à fournir, au nom de la coalition du Parti de l’unité nationale (PNU), un appui institutionnel pour: i) la conclusion d’un accord avec les Mungiki en vue de la commission des crimes; et ii) l’exécution du plan commun par les Mungiki sur le terrain, à Nakuru et Naivasha.