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Soumis par Metou Brusil le 7 December 2014

Au cours d’une réunion du 25 novembre 2014 au Conseil de sécurité, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires politiques, Jeffrey Feltman,  est revenu largement sur l’utilité des régimes de sanctions comme gage de paix et de stabilité dans le monde.  Pour lui, le système multilatéral est mis à rude épreuve par une multiplication de périls qui doivent être neutralisés par la mise en œuvre efficace de régimes de sanctions contre ceux qui menacent la paix dans le monde. La désignation calibrée de sanctions destinés à modifier des types de comportements ou d'actions a évolué pour inclure à présent les violations des droits de l'homme, le ciblage des civils, les discours de haine et la violence sexuelle pendant les conflits.

Tout comme le recours à la force armée, les sanctions du Conseil de sécurité relèvent du Chapitre VII de la Charte relatif à "l’action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression". Le recours aux sanctions, explicitement prévu par l’article 41, permet au Conseil de sécurité de demander aux États membres d’appliquer des mesures coercitives en vue de donner effet à ses décisions et de contribuer ainsi au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Les différents régimes de sanctions adoptées par le Conseil s’apparentent ainsi à autant d’instruments politiques visant à assurer le maintien de la paix et de la sécurité. L'imposition de sanctions obligatoires permet à cet égard d'exercer une pression sur un État ou une entité pour qu'ils se conforment aux objectifs fixés par le Conseil de sécurité sans qu'il soit besoin de recourir à la force. Avec les opérations de maintien de la paix, ces dispositifs ont contribué à faire la différence dans des terrains aussi variés que l'Afghanistan, l'Angola, la République démocratique du Congo, l'ex-Yougoslavie, Haïti, le Libéria et la Sierra Leone, comme l’a relevé M. Feltman, en rappelant que le Conseil avait établi à ce jour 25 de ces régimes, le premier datant de 1966. « Le coût actuel des 15 régimes de sanctions actuellement en vigueur est de moins de 30 millions de dollars par an, un coût modeste », a estimé le secrétaire général adjoint, saluant la capacité continue d'innovation de l'ONU pour assurer leur application. Un total de 15 régimes de sanctions ont été décidés par le Conseil de Sécurité entre 1990 et 2000 : l'Iraq (1990), l'ex-Yougoslavie (1991), la République Fédérale de Yougoslavie (1992), la Libye (1992), la Somalie (1992), Haïti (1993), l'UNITA (1993), le Rwanda (1994), le Libéria (1994), les Serbes de Bosnie (1994), le Soudan (1996), la Sierra Leone (1997), la République Fédérale de Yougoslavie (1998), les Taliban (1999), l'Érythrée et l'Éthiopie (2000). Les sanctions contre Haïti ont été levées en 1994 et les sanctions contre la RFY en 1996. Un nouvel embargo sur les armes à destination de la RFY a été établi en 1998 et finalement levé en septembre 2001. Comme l’a d’ailleurs souligné M Feltman dans son propos, l’établissement de sanctions ciblées en 1994 a constitué un premier tournant « décisif » dans le système international de paix et de sécurité, et la mise en place, cinq ans plus tard, de groupes d'experts pour superviser l'exécution des sanctions a été un deuxième temps fort. On le voit, la décennie 1990-2000 n’était pas seulement celle des Nations Unies pour le droit international, elle était aussi celle des sanctions.

Dans la foulée de cette présentation, le Président du Conseil a annoncé l’adoption, dans les prochains jours, d’une résolution sur les 15 régimes de sanctions du Conseil de sécurité, qui demande, entre autres, que les 20 entités qui contribuent à leur mise en œuvre coordonnent davantage leurs efforts.  Tandis que la délégation de la Lituanie a souhaité que ce texte soit adopté « dans les meilleurs délais », celle de la Fédération de Russie a réaffirmé qu’elle était opposée à la banalisation des sanctions. Les Sanctions imposées jusqu’à ce jour sont de nature multiple et variée. Même si elles ont été adaptées à une communauté internationale en perpétuel changement, ces sanctions peuvent avoir des conséquences néfastes et leur efficacité demeure somme toute relative. Un retour sur le régime des sanctions du conseil de sécurité (I), permet d’analyser leur efficacité sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales (II).

I.Le régime des sanctions du conseil de sécurité

Le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les sanctions internationales est fixé par la charte des Nations Unies. Sous le régime du Chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité peut prendre des mesures coercitives pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. Ces mesures peuvent aller des sanctions économiques et autres sanctions n'impliquant pas l'emploi de la force armée jusqu'à l'intervention militaire internationale.  Le Conseil de Sécurité établit des régimes de sanctions via l'adoption d'une résolution (sur la base du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies). Une résolution de ce type spécifie le genre de sanctions (p.ex. : embargo, interdiction de visa, gel des avoirs) et la catégorie de personnes prises en considération.

  1. Multiplicité et diversité

Le Conseil de sécurité s’est jusqu’à présent servi des sanctions obligatoires comme d’un moyen de contrainte pour répondre à des menaces contre la paix ou lorsque l’action diplomatique avait échoué. Depuis les premières mesures à l’encontre de la Rhodésie du Sud en 1966, puis à l’encontre de l’Afrique du Sud en 1970, le Conseil de sécurité a eu recours aux sanctions de manière croissante et dans des situations de plus en plus variées : intervention dans un conflit armé, déblocage d’un processus politique, lutte contre la prolifération d’armes de destruction massive ou lutte contre le terrorisme. Ces sanctions prennent habituellement la forme de sanctions économiques et commerciales générales, et de mesures plus ciblées telles que les embargos sur les armes, les interdictions de voyager et des mesures financières et diplomatiques de nature restrictive. Elles touchent à de multiples domaines :

1° Les sanctions culturelles et sportives ont un caractère symbolique, mais permettent à la communauté internationale, ou à un groupe de pays, d'exprimer sa désapprobation, lorsque l'on ne souhaite pas aller plus loin dans les mesures coercitives. Exemple : les restrictions aux compétitions sportives imposées à l'égard des équipes sportives d'Afrique du Sud par le passé.

2° Les sanctions diplomatiques visent les dirigeants d'un État : ses diplomates et ses hommes politiques verront leurs visas annulés et seront exclus des activités des instances internationales. Des mesures de cette nature ont été prises contre le régime des Taliban en 1999, avec la réduction au minimum de sa représentation diplomatique à l'étranger.

3°Les sanctions touchant les voyages comprennent les restrictions aux déplacements de certains groupes d'individus qui ne sont pas autorisés à quitter leur pays. Il s'agit alors de sanctions par nature ciblées. Ces sanctions peuvent aussi consister en l'interdiction de tout décollage ou atterrissage d'aéronefs appartenant à l'entité sanctionnée, ou affrétés ou exploités par elle. Ce type de mesures a été employé à l'encontre de la Junte militaire de Sierra Leone en 1998, des dirigeants de l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) à partir de 1997.

4°Les sanctions militaires consistent en l'embargo sur les armements ou en la suppression de l'aide ou des opérations d'entraînement militaires ; elles sont ciblées par définition.

5°Les sanctions économiques, plus nombreuses et sont commerciales ou financières. Les premières peuvent être générales, tel que l’embargo visant Cuba par exemple, ou sélectives, frappant uniquement certains produits, tels que celui qui a touché les diamants de Rhodésie. Les sanctions financières concernent le domaine monétaire. En ce sens, des sanctions financières ont été prises à l'encontre de M. Milosevic et de son entourage, consistant essentiellement dans le gel des capitaux détenus par ceux-ci hors de la Serbie (Voir Institut de Hautes études de défense nationale,  178e session en région, Rapport du COMITE 1, « Les sanctions internationales sont elles utiles ? »)

  1. Modalités variables

Parallèlement à leur montée en puissance, les sanctions ont évolué dans leurs modalités. Depuis l’embargo décidé contre l’Irak au début des années 1990, elles ont progressivement été ciblées, soit contre des individus ou des entités (publiques ou privées), soit contre des matériels identifiés (comme des biens à double usage, des armes ou des ressources naturelles). C’est dans le cadre du régime de sanctions contre l’Angola que le Conseil de sécurité a visé pour la première fois un acteur non-étatique (l’UNITA, en 1993). Depuis 1999, Al-Qaïda est l’objet d’un régime de sanctions propre, créé par la résolution 1267.

Les sanctions sont le plus souvent standardisées, comme les embargos sur les armes et biens sensibles, l’interdiction de voyager et le gel des avoirs. Elles ont ainsi gagné en efficacité, qu’elles visent à priver les parties de leurs moyens d’action ou de leurs ressources (embargo sur les armes dans le cadre d’un conflit, interdiction des transactions liées à la non-prolifération, gel des avoirs dans le cadre de la lutte anti-terroriste, embargo contre les ressources qui servent à financer les parties à un conflit) ou, plus généralement, à faire pression sur une partie pour l’inciter à coopérer au processus de règlement politique en cours.

  1. Conséquences néfastes  et ajustement

Les régimes des sanctions ont révélé de nombreuses conséquences néfastes lors de leur mise en place, et notamment des crises humanitaires graves touchant les populations civiles dans les États soumis aux sanctions économiques du Conseil, ou les États tiers. Les sanctions contre l'Iraq, maintenues depuis plus de 10 ans, avec toutefois un élargissement progressif des exemptions humanitaires (programme "pétrole contre nourriture"), sont depuis plusieurs années au cœur du débat sur l'outil des sanctions. C'est en effet l'exemple iraquien qui a fait prendre conscience à la communauté internationale des problèmes politiques et surtout humanitaires que pouvait poser la mise en œuvre de sanctions, en particulier lorsqu'il s'agit de sanctions économiques globales à l'échelle d'un pays tout entier. Cette situation a conduit le Conseil de sécurité à entamer une réflexion globale sur les sanctions au sein d'un Groupe de travail sur les questions générales relatives aux sanctions qu’ils ont chargé de formuler des recommandations d’ordre général sur les moyens de rendre les sanctions de l’ONU plus efficaces.

Pour remédier à ce phénomène, le Conseil peut adopter des mesures ciblées visant des acteurs spécifiques et inscrire des exceptions humanitaires dans le texte de ses résolutions. L’on peut qualifier de mesure ciblée, par exemple, le gel des avoirs financiers et le blocage des transactions financières des cercles politiques ou des entités dont le comportement est à l'origine des sanctions. Le représentant de l’Union européenne avait indiqué lors de la 255e séance du Comité spécial de la Charte des Nations Unies et du raffermissement du rôle de l’Organisation en 2009, « que l’Union Européenne estime nécessaire que toutes les sanctions imposées devraient être bien ciblées, et de manière à atteindre un objectif bien précis. En particulier, en matière de lutte contre le terrorisme, les procédures doivent être claires et équitables ». Les mesures ciblées (ou smart sanctions) ont ainsi permis de faire des progrès face aux conséquences néfastes des mesures globales sur les populations civiles. Néanmoins, on observe certaines difficultés juridiques à l’application de ces mesures en matière de terrorisme. Le Conseil de sécurité, au moyen de résolutions (Résolutions 1267(1999), 1333(2000), 1390(2002)) recommandait d’infliger des sanctions économiques telles que le gel des ressources financières de personnes nommément désignées sur une « liste établie », et présumées être associées au réseau Al-Quaida, à Ossama Ben Laden, ou au régime taliban. Or, ces sanctions ciblent des individus, et non des Etats comme le prévoit pourtant le Chapitre VII de la Charte. Les personnes concernées ne disposent alors d’aucun recours juridique contre des résolutions du Conseil et ne peuvent en conséquence pas bénéficier du droit à un procès équitable. Cette problématique fut soulevée dans le cadre d’une sanction ciblée contre un individu et une fondation, (Yassin Abdullah Kadi, résident saoudien, et Al Barakaat International Foundation, établie en Suède), soupçonnés d’être associés à des terroristes dont le Conseil avait gelé les avoirs. Ces derniers, dans l’impossibilité de faire un quelconque recours contre les résolutions des Nations Unies qui les inscrivaient sur « la liste noire », ont fait un recours contre les règlements européens (467/2001 et 881/2002 qui transposaient les résolutions en Europe) devant la Cour de Justice des Communautés européennes. La cour a rendu son arrêt le 3 septembre 2008 (C-402/05 P) et a annulé les arrêts rendus par le TPI en 2005 (21 septembre 2005, Kadi c/ Conseil et Commission, aff. T-315/01, et Yusuf et Al Barakaat International Foundation c/ Conseil et Commission, aff. T-306/01) en ce que celui-ci n’avait pas annulé les règlements qui gelaient les fonds de M. Kadi et Al Barakaat foundation. Celle-ci a alors jugé les « juridictions communautaires compétentes pour contrôler les mesures adoptées par la Communauté qui mettent en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ». Et « en exerçant cette compétence, elle a considéré que le règlement viole les droits fondamentaux que M. Kadi et Al Barakaat tirent du droit communautaire ».

De nombreux États et organisations humanitaires se sont montrés préoccupés par les effets néfastes que les sanctions pouvaient avoir sur les groupes de population les plus vulnérables et sur l’économie de pays tiers.  En réponse à ces préoccupations, les mesures prises par le Conseil de sécurité ont bénéficié d’une approche plus fine de la conception, de l’application et du suivi des sanctions obligatoires. Des sanctions dites « intelligentes » ont ainsi été appliquées récemment aux diamants qui alimentent les conflits dans certains pays d’Afrique où les guerres sont en partie financées par l’échange illicite de diamants contre des armes et des matériels connexes. Les exemptions humanitaires sont désormais prévues presque systématiquement, avec des résultats variables sur le terrain. Le programme pétrole contre nourriture pour l'Iraq est le plus gros dispositif de ce type, compte-tenu de la nature globale de l'embargo. Il existe aussi un mécanisme d'exemption humanitaire à l'embargo aérien contre le territoire afghan contrôlé par les Taliban destiné à garantir la poursuite de l'assistance humanitaire à la population (les ONG humanitaires peuvent obtenir une exemption permanente). La limitation dans le temps tend également à devenir la règle. Les nouvelles séries de sanctions décidés à partir de l'année 2000 l'ont été pour une durée limitée : l'embargo sur les diamants sierra-léonais non certifiés a été établi initialement pour une durée de 18 mois puis renouvelé pour une nouvelle période de 11 mois, l'embargo sur les armes contre l'Érythrée et Éthiopie avait été imposé pour un an, l'embargo aérien et sur les armes contre les Taliban avait été établi pour un an, les sanctions contre le Libéria ont été imposées pour un an. Les sanctions contre Al Qaeda et ses associées doivent également être réévaluées au bout d'un an.

Aujourd'hui, à l'exception de l'Iraq soumis à un embargo sur les armes et à un embargo économique, financier et commercial global, les principaux régimes de sanctions en vigueur sont des régimes de sanctions ciblées visant à priver un Etat ou un mouvement des moyens de faire et de financer la guerre : embargo sur les armes (UNITA, Al Qaeda et associés, Liberia, entités non gouvernementales de la Sierra Leone, forces non gouvernementales au Rwanda), sanctions financières ciblées (UNITA, Al Qaeda et associés), embargo pétrolier (UNITA), embargo sur les diamants (UNITA, FRU sierra léonais, Libéria), interdictions de déplacement (FRU sierra léonais, UNITA, Libéria).  Par ailleurs, des recours en radiation des listes peuvent être formulés.

  1. Possibles recours

A mesure que les régimes de sanctions se sont développés, il est apparu nécessaire de mettre en place des procédures respectueuses des droits des personnes et entités sanctionnées. Le 17 avril 2000, les membres du Conseil de sécurité ont créé, à titre temporaire, le Groupe de travail sur les questions générales relatives aux sanctions qu’ils ont chargé de formuler des recommandations d’ordre général sur les moyens de rendre les sanctions de l’ONU plus efficaces. En 2006, celui-ci a présenté son rapport (S/2006/997) au Conseil de sécurité, dans lequel figurent des recommandations formulées en vue d’améliorer l’efficacité des sanctions et les meilleures pratiques à mettre en œuvre à cet effet. Dans le cadre de l’engagement qu’il a pris de faire en sorte que l’inscription d’individus et d’entités sur les listes des comités des sanctions et leur radiation de ces listes s’effectuent dans le cadre de procédures équitables et claires, et que des exemptions soient accordées pour raisons humanitaires, le 19 décembre 2006, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1730 (2006), dans laquelle il a demandé au Secrétaire général de créer au Service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité un point focal chargé de recevoir les demandes de radiation et d’accomplir les tâches décrites dans l’annexe à ladite résolution. À cet égard, le Conseil de sécurité a aussi pris, plus récemment, une mesure importante en créant, par sa résolution 1904 (2009), le Bureau du Médiateur.  Des personnes et entités mentionnées sur une des listes de sanctions onusiennes, peuvent adresser leur demande de radiation au point focal auprès le Secrétariat des Nations Unies. Le 31 décembre 2013, le Comité créé par la résolution 1988 (2011) a promulgué les modifications spécifiées par les biffures et les soulignements dans les quarante et une entrées dans la Liste des individus et entités faisant l’objet de sanctions –gel des avoirs, interdiction de voyager et embargo sur les armes– conformément au paragraphe 1 de la résolution 2082 (2012) du Conseil de sécurité adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Puis, le  2 janvier 2014, le Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999) et 1989 (2011) concernant Al-Qaida et les personnes et entités qui lui sont associées a radié certaines entrées de la Liste des personnes et entités visées par les sanctions contre Al-Qaida à l’issue de l’examen par le Comité des demandes de radiation présentées par ces requérants par le biais du Médiateur créé par la résolution 1904 (2009), et après son examen des rapports d’ensemble du Médiateur sur ces demandes.  Les mesures de gel des avoirs, d’interdiction de voyager et d’embargo sur les armes énoncées au paragraphe 1 de la résolution 2083 (2012) du Conseil de sécurité et adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ne s’appliquent donc plus à ces entrées.

II. La mise en œuvre des sanctions

  1. Un dispositif institutionnel épars : comités et groupes d’experts

Afin d’assurer la mise en œuvre effective des sanctions par les États-membres des Nations unies, le Conseil de sécurité décide de plus en plus systématiquement de créer un comité des sanctions. Organe subsidiaire du Conseil réunissant tous les États membres du Conseil de sécurité, ce comité a le plus souvent trois fonctions principales, qu’il exerce dans le cadre des décisions adoptées par le Conseil :

  • désigner des personnes, entités et biens devant faire l’objet de sanctions, ou bien au contraire accéder aux demandes de radiation des listes qui lui sont adressées. Il complète et actualise ainsi les listes de sanctions qui peuvent avoir été directement établies par le Conseil de sécurité ;
  • surveiller la mise en œuvre des sanctions décidées par le CSNU : chaque comité des sanctions collecte et contrôle les informations que doivent lui communiquer les États-membres des Nations unies sur les initiatives prises pour appliquer les sanctions. Le cas échéant, un comité contacte directement un État particulièrement concerné par ces problématiques. Les comités assurent également le suivi des effets adverses des sanctions, notamment en matière humanitaire, et la gestion des éventuelles exemptions prévues par le Conseil de sécurité ;
  • clarifier les modalités d’application des sanctions : un comité des sanctions peut répondre aux questions posées par les États sur la mise en œuvre pratique des sanctions ou, de son propre fait, adresser aux États-membres des directives générales sur l’interprétation à retenir des décisions du Conseil de sécurité.

Le Comité est appuyé par un groupe d’experts originellement créé par la résolution 1584 (2005) pour une période de six mois et chargé notamment de surveiller le respect du régime des sanctions, en coopération avec l’ONUCI. Le Groupe d’experts a été reconduit ou son mandat prorogé pour de nouvelles périodes par les résolutions 1632 (2005)1643 (2005)1708 (2006)1727 (2006)1761 (2007)1782 (2007)1842 (2008)1893 (2009)1946 (2010)1980 (2011)2045 (2012)2101 (2013) et 2153 (2014). Les rapports du Groupe d’experts peuvent être consultés ici. Aux termes de son mandat actuel, le Groupe d’experts doit faire rapport par écrit au Conseil de sécurité, par l’intermédiaire du Comité, pour le 15 octobre 2014 et le 15 avril 2015 au plus tard.

Le Conseil de sécurité et les comités des sanctions peuvent – lorsque le régime de sanctions l’a prévu – s’appuyer sur le travail d’un groupe d’experts indépendant. Désignés par le Secrétariat des Nations unies, ces experts surveillent l’application des sanctions, l’évolution de la situation dans le pays au regard des sanctions et des objectifs qui leur ont été associés par le Conseil de sécurité, et peuvent formuler des recommandations pour améliorer l’efficacité du régime. Leurs rapports ont vocation à être publics.

Le Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1572 (2004) concernant la Côte d'Ivoire a été établi le 15 novembre 2004 pour superviser la mise en œuvre des sanctions pertinentes et exécuter les tâches prescrites par le Conseil de sécurité au paragraphe 14 de la même résolution. Le régime des sanctions et le mandat du Comité ont été modifiés par des résolutions ultérieures, tout particulièrement les résolutions 1584 (2005) et 1643 (2005). Le régime a été reconduit jusqu’au 30 avril 2015 en vertu du paragraphe 1 de la résolution 2153 (2014), qui a été adoptée le 29 avril 2014.

B. Une efficacité limitée

Il est difficile de mesurer le degré d’efficacité des sanctions décidées par le conseil de sécurité. Si les sanctions onusiennes ont produit des résultats certes significatifs dans certains cas (Afrique du Sud, Angola, Irak, Libye, Sierra Leone, Liberia…), elles sont restées sans effets dans d’autres cas, voire même insignifiants. L’exemple de la Corée du nord est frappant en la matière. Un premier train de sanctions avait été adopté à l’unanimité au Conseil de Sécurité de l’ONU, celui-ci comprenant un embargo sur les armes ainsi qu’une liste de personnes et d’entités dont les activités et les avoirs sont bloqués. Était également instauré un strict embargo sur les articles de luxe. Curieusement, le 25 mai 2009, la Corée du Nord a procédé à un nouvel essai nucléaire, celui-ci est immédiatement suivi du vote de la résolution 1874, qui a alourdi les sanctions en reprenant presque mot pour mot les termes de la résolution 1718 de 2006. Les sanctions ainsi infligées n’ont pas ainsi été en mesure d’infléchir la position des autorités coréennes. 

De même, les sanctions aériennes décidées contre le Soudan ne sont jamais entrées en vigueur et ont été levées en septembre 2001. Les sanctions contre la Libye ont été suspendues en avril 2000 mais ne sont toujours pas levées.

Dans le cas de l’Iran, les sanctions infligées tardent à produire les effets réellement escomptés. L’Iran a en effet, depuis longtemps entrepris le développement d’un programme nucléaire. Initié sous le régime du Shah dès 1967, suspendu par Khomeny en 1979, il a été progressivement relancé dès 1981 suite à la destruction par Israel du réacteur « Osirak » en Irak. D’un affichage civil et purement énergétique, ce programme est en fait dual et vise à terme la maîtrise de l’arme nucléaire. Par conséquent, ce programme, développé en violation du traité de non prolifération, constitue une crise de sécurité internationale majeure.  La violation persistante, confirmée par l’AIEA, de ses obligations de suspendre, ou même seulement de geler, ses activités nucléaires sensibles, et de faire toute la lumière sur son programme nucléaire, et le refus réitéré de négocier avec « les Six » (Allemagne, France, Royaume-Uni, États-Unis, Chine, Russie) et Javier Solana, n’a pas donné d’autre choix au Conseil de sécurité de l’ONU que d’augmenter la pression exercée sur Téhéran. Le conseil de sécurité  a ainsi adopté 4 résolutions entre 2006 et 2008 qui visent à sanctionner l’Iran. (Voir Résolution 1696 (2006) ) Résolution 1737 (mars 2006) ; Résolution 1747 (2007) ; Résolution 1803 (2008)). Le dernier cycle de négociations a accouché d’une souris.

En matière de lutte contre le terrorisme, les interdictions de voyages et les gels d’avoirs contribuent à perturber les activités des groupes terroristes et de leurs réseaux de soutien, mais elles ne produisent pas d’effets visibles sur les activités terroristes.

C’est dire que la question de l’efficacité des régimes instaurés par le Conseil de sécurité reste  une préoccupation permanente, ne serait que parce que de nouvelles façons de contourner ces mesures sont constamment mises en place.

C.Le nécessaire concours des Etats

« Tous les États doivent prendre conscience de l'utilité de ces sanctions qui ne sont des mesures punitives », a insisté M. Feltman, en assurant que les sanctions de l'ONU ne servaient pas à amoindrir les pays mais à les aider à lutter contre l'instabilité, les violations massives des droits de l'homme, la contrebande et le terrorisme. Le Secrétaire général adjoint a salué le fait que des États Membres demandent de plus en plus au Conseil de prendre des mesures ciblées pour appuyer leurs efforts de transition vers la démocratie ou encore les protéger du fléau du terrorisme et autres activités illégales. « Davantage doit être en outre fait pour fournir une assistance accrue aux États mettant œuvre les résolutions pertinentes », a-t-il souligné.

 

Observations (Philippe Weckel)

Il n'y a pas d'alternative au recours à des sanctions qui sont nécessaires à l'accomplissement des missions du Conseil de sécurité. L'activité intense de la présidence australienne le mois dernier a permis aux membres de débattre largement du fonctionnement des régimes de sanctions. Essentiellement ce sont la coordination et l'harmonisation des très nombreux régimes existants qui ont concentré les discussions. Ainsi l'extension des fonctions du médiateur à d'autres comités que celui d'Al Qaïda a été fortement soutenue par certains et a suscité aussi des réticences.

Le Conseil s'est engagé dans un processus d'institutionnalisation avec la multiplcation des comités des sanctions. Ce processus demeure limité dans sa portée tant que chaque régime conserve son autonomie. Le processus change radicalement de nature lorsqu'il débouche sur la mise en place de secrétariats ou d'un médiateur, c'est-à-dire de structures qui sont en réalité des émanations du Secrétariat général et non des membres du Conseil. Ce sont moins les sanctions qui sont en débat que le fonctionnement même de l'organe du maintien de la paix.

Bulletin numéro 414