Le 30 octobre 2014, la Suède a procédé à reconnaître officiellement la Palestine comme Etat. Cet acte avait été annoncé quelques semaines plus tôt par les nouvelles autorités élues suédoises. Israël a répondu à ce geste avec un discours bien connu chaque fois qu´un Etat reconnaît la Palestine: il fut entendu de la part de l´ambassadeur d´Israël au Costa Rica au mois de février 2008 (Note 1), et de la part de son collègue nommé dans la capitale guatémaltèque au mois d´avril 2013. Tel-Aviv a de surcroît considéré utile de faire référence à la simplicité des manuels d´Ikea (rappelant l´allusion toute aussi utile à la défaite soufferte par le Brésil 7-1 durant la dernière Coupe du Monde, lors du rappel de l´ambassadeur du Brésil en Israël par les autorités de Brasilia en pleine offensive israélienne à Gaza de juillet dernier). Nonobstant, dans le cas suédois, Tel-Aviv a décidé de rappeler son ambassadeur en Suède le même jour du 30 octobre. Ce détail avec la Suède se doit sans doute au fait qu´il s´agit du premier Etat de l´Union Européenne (UE) à reconnaître la Palestine depuis plusieurs décennies.
Une UE divisée:
Il semble utile de rappeler l´attitude de l´UE lors du vote, au mois de novembre 2012, de la résolution reconnaissant à la Palestine le statut d´ « Etat Non Membre Observateur » par l´Assemblée Générale des Nations Unies. Cette dernière adopta par 138 votes en faveur, 9 contre et 41 abstentions, le projet de résolution A/67/L.28 proposé par 60 Etats. Parmi ces derniers ne figurait aucun des 27 membres de l´UE (alors que de la part de l´Amérique Latine en étaient signataires l´Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, Cuba, l´Equateur, le Nicaragua, le Pérou, l´Uruguay et le Venezuela). A l´heure du vote, l´apparente cohésion européenne s´estompa: en faveur votèrent l´Autriche, la Belgique, Chypre, le Danemark, l´Espagne, la France, la Finlande, la Grèce, l´Irlande, l´Italie, le Luxembourg, Malte, le Portugal et la Suède. Les membres restants de l´UE se retrouvèrent parmi les abstentions, à l´exception de la République Tchèque, qui considéra opportun de voter contre (conjointement avec le Canada, les Etats Unis, les Iles Marshall, Israël, la Micronésie, Nauru, Palau et le Panama): un groupe d´Etats formant selon la presse internationale une bien singulière « coalition » (Note 2), dans laquelle le Panama se retrouva isolé par rapport au reste de l´Amérique Latine. On doit se rappeler que son Président, Ricardo Martinelli, avait reçu en 2011 le prix décerné par l´American Jewish Congress (AJC), "Light unto The Nations” (voir communiqué de presse).
Une note du Washington Post du 29/11/2012 fait référence à une bien étrange proposition provenant de la diplomatie britannique, que nous nous permettons de reproduire dans sa version originale: “The U.K. suggested that it might vote “yes” if the Palestinian Authority offered assurances that it wouldn’t pursue charges in the International Criminal Court”. Comme on le sait, Israël et son fidèle allié étasunien ont toujours été extrêmement sensibles sur cette question: le dépôt par la Palestine le 21 janvier 2009 d´une déclaration d´acceptation de la juridiction de la Cour Pénale Internationale (CPI) fut considéré par le service juridique de l´armée israélienne comme une nouvelle forme de terrorisme: le « terrorisme légal » (Note 3). Moins connue, une dépêche confidentielle rendue publique par Wikileaks de l´Ambassade des Etats-Unis à Tel-Aviv en date du 23/02/2010 (voir texte complet) exprime la part la crainte extrême que représente pour Israël la CPI: “Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation”. Bien moins confidentiel, un article récent publié aux Etats-Unis (intitulé: “US is ‘absolutely adamant’ that Palestine not go to ICC and wreck the peace process — Power) précise que pour la représentante actuelle de l´administration Obama aux Nations Unies à New York : “The ICC is of course something that we have been absolutely adamant about. Secretary Kerry has made it very, very clear to the Palestinians, as has the President. I mean, this is something that really poses a profound threat to Israel” (sic). Affirmer publiquement (comme le fait l´ambassadeur Samantha Power), qu´une cour telle que la CPI (juridiction internationale chargée de juger pénalement des responsables de crimes de guerre, crimes contre l´humanité et génocide) constitue une menace réelle pour un Etat doit sans nulle doute constituer une véritable première dans l´histoire du droit international, que l´on se doit de signaler.
A noter qu´en réponse à ce vote obtenu par la Palestine aux Nations-Unies le 29 Novembre 2012, le Premier Ministre israélien donna son accord pour poursuivre la politique de colonisation hors du territoire israélien, avec 3000 logements nouveaux en Cisjordanie et notamment à Jérusalem Est (voir note de presse du 30 novembre 2014): une réaction qui fait partie d´une bien longue liste d´actes de ce type, et qui se vérifiera une nouvelle fois en 2014, à l´occasion cette fois de l´adhésion de la Palestine à divers traités universels en matière de droits de l´homme (Note 4). On notera que les 3000 logements illégaux décidés fin 2012 donnèrent lieu à une innovation technique au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies: le « véto implicite » instauré par la délégation des Etats-Unis (Note 5).
La révision minutieuse sur l´état des relations de la Palestine avec les 28 Etats membres actuels de l´UE impose quelques nuances. A la Suède depuis le 30 octobre, il faut ajouter Malte et Chypre qui reconnaissent la Palestine comme Etat depuis 1988, ainsi que les Etats de l´ancien bloc socialiste aujourd´hui intégrés à l´UE et qui reconnaissent également la Palestine (depuis 1988): la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque et la Roumanie. Lors du vote de novembre 2012 aux Nations Unies, ces cinq Etats (ainsi que la Slovaquie et la Slovénie) optèrent pour l´abstention, à l´exception de la République Tchèque, dont la fidélité extrême aux Etats-Unis et à Israël obligea son délégué à voter contre: un exercice dont la consistance du point de vue juridique est sans doute sans précédent. Les propos tenus moins d´un an plus tard par l´actuel Président de la République Tchèque concernant l´emplacement souhaité de l´ambassade tchèque en Israël confirment que cette fidélité constitue en réalité une loyauté à toute épreuve (Note 6).
Le geste du Costa Rica :
La reconnaissance de la Palestine comme Etat par le Costa Rica date du mois de février 2008, et provoqua la surprise d´Israël et des Etats Unis (voir dépêche confidentielle rendue publique para Wikileaks). Les indiscrétions d´autres câbles Wikileaks sont sans ambigüités à propos de la perception des responsables politiques à l´ambassade des Etats-Unis à San José transmises à leurs supérieurs à Washington quant à la position hardie - et difficilement réfutable - du Costa Rica: dans l´une d´elles (voir texte) ont y lit qu´il s´agit d´ « a well-reasoned rationale for recognizing “State” of Palestine, taking into account Costa Rica´s yes vote on UN Resolution 181 and the GOCR (Government of Costa Rica) desire to give a strong show of support to Abbas, in the face of Hamas”. Ce geste audacieux du Costa Rica fut présenté de telle manière qu´il donna lieu à la reconnaissance de la Palestine par le reste de presque toute l´Amérique Latine quelques mois plus tard. Après le Costa Rica, firent de même le Venezuela (avril 2009), la République Dominicaine (juillet 2009), la Bolivie, le Brésil, l´Equateur et le Paraguay (décembre 2010), le Pérou et le Chili (janvier 2011), l´Argentine (février 2011), l´Uruguay (mars 2011), El Salvador et le Honduras (août 2011). A ces reconnaissances, il faut ajouter celles de Cuba et du Nicaragua (faites dès 1988). Les derniers Etats de la région à procéder de la sorte sont le Guatemala (avril 2013) et Haïti (septembre 2013). Seuls la Colombie, le Mexique et le Panama maintiennent leurs distances avec la Palestine actuellement: dans deux des trois cas, la proximité avec les Etats-Unis peut expliquer cette attitude.
A noter qu´à l´occasion de la dernière opération israélienne sur Gaza initiée en juillet 2014, plusieurs Etats latino-américains ont procédé à rappeler leurs ambassadeurs dès la fin du mois de juillet 2014 (Brésil, Chili, El Salvador, et Pérou). En outre, plusieurs chefs d´Etat (Equateur, Bolivie, Nicaragua, Uruguay et Venezuela) ont fermement condamné Israël, usant de qualificatifs tels que « acte de folie », « génocide », « massacre » (objets d´une étude récente publiée au Costa Rica). Alors que début août 2014, le bilan officiel donné par les Nations Unies était de 66 morts côté israélien (dont 63 militaires et trois civils) et de 1525 victimes mortelles côté palestinien (voir rapport officiel au 3 août 2014), le bilan un mois plus tard était de 71 morts israéliennes (incluant celles de 66 militaires et de quatre civils); et, côté palestinien, de 2131 morts (1531 correspondant à des civils, dont 501 enfants et 257 femmes) - voir rapport officiel au 4 septembre 2014.
Le défi posé par la Suède :
Les déclarations de la Ministre des Affaires Etrangères suédoise, Margot Wallström, expliquant les raisons pour procéder à la reconnaissance de la Palestine, ont été accompagnées par un communiqué officiel dans lequel la Suède a annoncé une augmentation significative de sa coopération avec la Palestine. Salué par les autorités palestiniennes comme un geste “courageux et historique”, ce geste de la Suède a relancé le débat en Europe sur la question, y compris au Royaume-Uni: son Parlement a adopté le 13 octobre dernier une résolution exigeant au Pouvoir Exécutif de procéder à cette reconnaissance (avec 274 votes pour et 12 contre). Le Congrès espagnol a fait de même le 18 novembre, avec une écrasante majorité (319 votes pour, une abstention et deux votes contre) (Note 7). La France s´apprête à vivre une expérience similaire dans quelques jours, avec un débat sur la reconnaissance de la Palestine qui a débuté ce vendredi 28 novembre au sein de l´Assemblée Nationale (voir texte de la proposition de résolution 2387 déposée le 20 novembre 2014) et qui sera votée le 2 décembre.
On notera que le résultat quasi unanime des exercices parlementaires au Royaume-Uni et en Espagne lancent un message clair et univoque au Pouvoir Exécutif (et par la même occasion aux autorités israéliennes).
Il s´agit d´un mécanisme inusité pour procéder à la reconnaissance d´un Etat par un autre Etat, lequel constitue, comme on le sait bien, un acte juridique unilatéral que peut adopter tout Exécutif dans le cadre de ses compétences en matière de politique extérieure. Avec la Suède, on dénombre à l´heure actuelle 134 Etats reconnaissant officiellement la Palestine comme Etat, sans avoir eu nécessité de session parlementaire préalable quelconque. Comme tout acte juridique unilatéral, la forme que revêt l´acte de reconnaissance de la Palestine comme Etat est variable: il peut s´agir d´une longue déclaration officielle comme ce fut le cas du Brésil au mois de décembre 2010 (voir texte du communiqué officiel); ou bien d´un texte plus modeste, comme celui de l´Uruguay du mois de mars 2011 (voir texte du communiqué officiel) ou encore celui de El Salvador d´août 2011 (voir texte du communiqué officiel) pour ne citer que quelques exemples.
Le caractère unanime des récents votes au Royaume Uni et en Espagne sur la question laissent entrevoir une marge de manœuvre extrêmement étroite pour un Exécutif hésitant. On notera dans le cas espagnol la discrétion de la réaction israélienne, qui tranche avec la réaction virulente de l´ambassade d´Israël en Espagne suite à une modeste déclaration en signe de solidarité avec le peuple palestinien adoptée par le Parlement de la Galicie au mois de mai 2014 (Note 8). Quant aux déclarations de hauts responsables israéliens publiées dans la presse suite au geste de la Suède, elles laissent entrevoir leurs craintes concernant les effets de cette reconnaissance dans le reste de l´Europe. Ces craintes (fondées) rappellent précisément l´argument (tout aussi fondé) présenté par le Costa Rica en 2008, que nous pouvons apprécier en relisant le texte d´une conférence de son ancien Ministre des Affaires Etrangères, Bruno Stagno (2006-2010), prononcée lors d´une réunion des Nations Unies à Montevideo en 2011: “En 1947, le Costa Rica, ainsi que 12 autres pays d´Amérique Latine et des Caraïbes, approuva la résolution 181 (II) de l´ Assemblée Générale relative au Plan de Partage du Mandat Britannique en Palestine. A cette occasion, nous avons fait partie des 33 pays qui ont reconnu très tôt que la coexistence de deux Etats s´imposait comme la pire des solutions, à l´exception de toutes les autres. Depuis, nous avons vu défiler une tragédie derrière l´autre, incluant guerres et intifadas, assassinats et attentats, affectant sérieusement le droit à vivre sans peur des deux peuples. Parallèlement, et sans un calendrier saisonnier clair, nous avons vu naître des promesses et des espoirs de divers processus de paix, sans obtenir la récolte des dividendes de la paix. Une terre fertile pour les doubles discours, pour des intérêts extérieurs et pour une triste réitération d´évènements remettant à plus tard la réalisation du mandat accordé en 1947 » (traduction libre du texte espagnol).
Conclusion :
Il y a cinq ans, le professeur Alain Bockel dans un article intitulé « Gaza: le processus de paix en question » publié dans l´Annuaire Français de Droit International analysait l´option des responsables israéliens définie comme «la gestion du pourrissement » à laquelle on assiste depuis plusieurs années: une option « empruntée par les gouvernements israéliens successifs depuis dix ans avec un bonheur relatif » et qui consiste, selon cet auteur, « à laisser les choses en l´état, en refusant en fait toute solution allant dans le sens de l´émergence d´un véritable Etat palestinien, tout en donnant l´apparence de la bonne volonté en se prêtant périodiquement au jeu de la négociation» (Note 9). C´est effectivement ce à quoi on a assisté durant toutes ces années, avec cependant une augmentation spectaculaire par rapport aux années précédentes concernant le nombre de logements israéliens illégaux en Palestine et à Jérusalem Est (Note 10). Dès 1988, le même Annuaire incluait un article du professeur Jean Salmon qui concluait pour sa part que « reconnaître l´Etat palestinien n´est sans soute rien de plus que l´affirmation du droit du peuple palestinien à créer aussitôt que possible cet Etat, mais c´est surtout poser un acte de solidarité à l´égard du peuple palestinien et de volonté de respect du droit international » (Note 11). Le geste de la Suède a relancé de manière notoire le débat dans plusieurs Etats européens. Durant ces derniers jours, la discussion en France sur la reconnaissance de la Palestine s´est considérablement intensifiée et elle s´est étendue à bien d´autres membres de l´Union Européenne. Cette discussion devrait tenir compte, parmi d´autres éléments, de l´absence de réaction significative israélienne au geste suédois (l´ambassadeur israélien rappelé le 30 octobre sera de retour dans son bureau ce vendredi 28 novembre selon une note de presse) ainsi que de la discrétion israélienne en ce qui concerne la décision du Congrès espagnol du 18 novembre. Bien moins discret, ce 29 novembre sera probablement célébré dans le monde entier de manière inusitée comme Journée Internationale de Solidarité avec le Peuple Palestinien, déclarée comme telle par les Nations Unies en 1977, précisément en commémoration du jour ou fut adoptée la résolution 181 (II) de 1947. Il est fort probable qu´à cette occasion, les drapeaux palestiniens hissés à Stockholm, à Londres et à Madrid soient bien plus nombreux, ainsi que dans plusieurs autres capitales européennes.
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Notes :
Note 1 : La réaction israélienne à cette reconnaissance par le Costa Rica en février 2008 mérite d´être citée car elle réapparaîtra dans bien d´autres enceintes et discours officiels d´autres Etats et se lit ainsi. «Etablir des relations avec un Etat qui n´en est pas un compromet le développement d´accords définitifs entre Israéliens et Palestiniens, va à l´encontre de la Feuille de route, des activités du Quartette et d´autres efforts pour la paix. Ces agissements vont à l´encontre des accords, y compris ceux de la communauté internationale, et pourraient nuire aux efforts de paix entre les deux parties” (Traduction libre de l´auteur de : “Establecer relaciones con Estado que no existe compromete el desarrollo de los acuerdos definidos entre israelitas y palestinos, va en contra de la Hoja de Ruta, actividades del Cuarteto y otros esfuerzos para la paz. Estos acontecimientos van en contra de los acuerdos, incluso, de la comunidad internacional y, podrían dañar los esfuerzos para alcanzar la paz entre ambas partes” » (tiré de l´entrevue parue dans La Prensa Libre (Costa Rica) du 28/02/2008 d´ Ehud Eitam, ambassadeur d´Israël au Costa Rica).
Note 2: Un article du Washington Post tente d´expliquer les motivations diverses de cette singulière « coalition » formée en novembre 2012 par 9 Etats, à savoir le Canada, les Etats Unis, les Iles Marshall, Israël, la Micronésie, Nauru, le Panama, Palau et la République Tchèque. La dite “coalition” semble avoir perdu quelque peu de sa vigueur dans la mesure où lors des différents votes réalisés ces jours-ci aux Nations Unies (novembre 2014) concernant six résolutions sur le Proche Orient et sur la Palestine, les seuls Etats à voter systématiquement contre sont les suivants: le Canada, les Etats Unis, les Iles Marshall, la Micronésie, Palau et Nauru (voir communiqué de presse des Nations Unies).
Note 3: Cf. FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des Etats- Unis à l´égard de la Cour Pénale Internationales, Paris, Pedone, 2010, p. 325. Quelques déclarations du chef de la délégation étasunienne après la conférence de Rome de juillet 1998 sont également éclairantes: « En ce qui concerne Israël enfin, David Scheffer reconnut après Rome que la délégation américaine avait endossé la crainte d´Israël d´être victime d´accusations devant la future Cour en raison de sa politique dans les territoires occupés » (p. 172). On lira avec intérêt la tentative des Etats-Unis afin d´exclure de la définition de crimes de guerre le « transfert par un Etat d´une partie de sa population dans un territoire qu´elle occupe » (pp. 171-172).
Note 4 : Ce type tout à fait particulier de réponse israélienne aux succès diplomatiques de la Palestine a récemment eu lieu en 2014: suite à l´adhésion par la Palestine de sept instruments internationaux relatifs aux droits de l´homme au mois de mai 2014 (geste salué par le Haut-Commissariat aux Droits de l´Homme des Nations unies début mai 2014), Israël y répondit avec 620 nouveaux logements à Jérusalem Est le 19 mai 2014 (voir note de presse).
Note 5 : Dans une analyse du Professeur Weckel publiée dans le Bulletin Sentinelle de Janvier 2013, on lit que. « Le Conseil de sécurité a consacré une réunion informelle le 19 décembre 2012 aux mesures de relance massive de la colonisation prises par Israël. En quittant inopinément la salle, Madame Susan Rice, Ambassadrice des Etats-Unis, a fait obstacle à l’adoption d’une résolution ou, du moins, d’une déclaration présidentielle condamnant le comportement d’Israël. Néanmoins tous les autres 14 membres du Conseil ont fait des déclarations à la presse critiquant la reprise de la colonisation. Même si l’absence d’un membre permanent n’équivaut pas à un veto, ce départ de la représentante américaine a bloqué l’issue de la réunion. Seuls en face des autres membres du Conseil, les Etats-Unis ne voulaient se prononcer au sein de cet organe, ni pour une condamnation d’Israël, ni contre, ni même s’abstenir. Les autres membres n’ont visiblement pas l’intention de les laisser sur la touche et le résultat est bien là : le Conseil de sécurité est paralysé, comme l’est d’ailleurs aussi le Quatuor. Les Etats-Unis ont donc inventé le veto implicite sinon de poche au Conseil de sécurité ». Cf. WECKEL Ph., « Israël, les Etats-Unis inventent le veto implicite au Conseil de sécurité », Sentinelle SFDI, Numéro 329 (Janvier 2013), Disponible ici.
Note 6: En octobre 2013, le Président tchèque exprima sa volonté de transférer le siège de l'ambassade tchèque en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem (voir note de presse), provoquant l´indignation des autorités palestiniennes ainsi que celle de la Ligue des Etats Arabes (voir note de presse). On rappellera que le Président du Costa Rica Luis Alberto Monge procéda à transférer l´ambassade du Costa Rica de Tel-Aviv à Jérusalem le 8 mai 1982, en violations de plusieurs résolutions des Nations Unies, et obligeant l´Assemblée Générale à adopter des résolutions entre 1982 et 2005: voir tableaux de ces résolutions in STAGNO UGARTE B., Los caminos menos transitados. La administración Arias Sánchez y la redefinición de la política exterior de Costa Rica, 2006-2010, Heredia, Editorial UNA (EUNA), 2013, pp. 35-36. Le Costa Rica procéda à transférer son ambassade à Tel-Aviv en août 2006 (voir note de presse). A noter que depuis 1995, une loi aux Etats-Unis prévoit le transfert de l´ambassade des Etats Unis de Tel-Aviv à Jérusalem: voir étude publiée dans le bulletin Numéro 12 de l'Institut Pierre Renouvin, Université Panthéon-Sorbonne de Paris 1.
Note 7 : Cf. notre brève analyse, BOEGLIN N., «Congreso español « insta » a reconocimiento de Palestina”, publiée sur le site Derechoaldia.com, en date du 20/11/2014. Texte disponible ici.
Note 8 : A cette occasion, les diplomates israéliens ont considéré l´offense grave et n´ont pas douté à indiquer qu´ “avec cette exigence, le Parlement de la Galicie rejoint les pires et les plus extrémistes ennemis d´Israël ». On lit en effet que pour l´Ambassadeur d´Israël en Espagne, ”con esta exigencia, el Parlamento de Galicia se une a los peores y más extremistas enemigos de Israel" (voir note de presse).
Note 9: Cf. BOCKEL A., « Gaza : le processus de paix en question », 55, AFDI (2009), pp. 173-187, p. 184.
Note 10 : Des tableaux comparatifs inclus dans ce rapport de l´ONG Israélienne Peace Now (voir les premières pages) compare le nombre de logements des gouvernements israéliens précédents par rapport à ceux autorisés par l´actuel Premier Ministre israélien. Pour une avoir une idée des chiffres, ce même rapport dénombre 13.851 nouveaux logements israéliens approuvés pendant la période allant d´août 2013 à mars 2014 en Cisjordanie et à Jérusalem Est (voir note de presse).
Note 11 : Cf. SALMON J., « La proclamation de l´Etat palestinien », 34, AFDI (1988), pp. 37-62, p. 62.
Nicolas Boeglin est Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR). Contact: nboeglin(a)gmail.com
Observations (Philippe Weckel)
La France et la reconnaissance de l'Etat de Palestine :
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député,
Je pense que sur la question très difficile et très sérieuse qu'est la situation en Palestine et en Israël, il faut que les uns et les autres, quelles que soient par ailleurs nos convictions, nous fassions le maximum - et c'était le sens de votre question - pour ne pas importer ici - je reprends vos termes - ce qui se passe là-bas.
Maintenant, je vais essayer de vous répondre, sachant qu'il y aura vendredi un débat à l'initiative du groupe socialiste de l'Assemblée nationale. Sur le principe même des deux États, la position constante des gouvernements successifs de la République française a été de dire que, oui, Israël et la Palestine ont droit chacun à un État ; c'est clair.
Il est évident, et c'est un point sur lequel nous nous retrouvons, que ce n'est pas parce qu'il y aurait une reconnaissance de l'État de Palestine que la position de ceux qui en Palestine luttent contre Israël et ne reconnaissent pas le droit d'Israël à être un État, ce n'est pas pour cela qu'ils auraient notre soutien. Nous sommes contre - appelons un chat un chat - le Hamas, nous sommes contre ceux qui appellent au terrorisme, c'est clair.
Maintenant, le débat entre nous est sur les modalités. Nous constatons qu'il y a des tensions extrêmes parce que le processus de paix est dans l'impasse et la France, qui est l'amie à la fois d'Israël et de la Palestine, veut sortir de cette impasse.
J'aurai l'occasion vendredi de vous expliquer nos pistes de solutions mais je veux être clair à la fin de mon propos : un État pour les Palestiniens ce n'est pas un passe-droit, c'est un droit./.
Q - Vendredi, à l'Assemblée nationale, va se dérouler un débat important qui concerne la diplomatie française : les députés vont débattre de la reconnaissance de l'État de Palestine. C'est une bonne initiative Laurent Fabius ?
R - C'est une initiative juridiquement régulière, puisqu'en vertu des changements qui ont eu lieu dans la Constitution le Parlement peut discuter de cela. Mais il faut qu'il soit bien clair - et ça l'est pour tout le monde - qu'autant le Parlement, en l'occurrence l'Assemblée nationale, peut voter des invitations à quelque chose, autant la décision relève du gouvernement, du président de la République, et eux seuls.
Q - Le texte de la résolution c'est : «on invite le gouvernement à reconnaître l'État de Palestine».
R - Oui, il n'y a donc aucune injonction ; soyons clairs et nets là-dessus. Cela dit, pourquoi y a-t-il eu, dans plusieurs pays, le même mouvement - au Royaume-Uni, en Espagne, en Suède, etc. ? C'est parce que la situation est dramatique et complètement bloquée là-bas. Il y a donc des débats dans les opinions publiques et dans les Parlements.
Je m'exprimerai au nom du gouvernement vendredi matin. Sur la question de principe de la reconnaissance d'un État Palestinien, la position de la France a toujours été, y compris depuis 1947, qu'il fallait qu'il y ait deux États. À partir du moment où il y a deux États - on a reconnu Israël - il faudra reconnaître la Palestine. La question ne porte donc pas sur le principe mais sur les modalités. Il y a toute une série de discussions et j'aurai l'occasion de dire quelle est la position de la France.
Q - C'est-à-dire, modalités ? Une question d'opportunité, est-ce que c'est le bon moment, est-ce que c'est...
R - Non, de modalités. Jusqu'à présent, il a toujours été dit : «c'est dans le cadre d'une négociation que, le moment venu, il y aura la reconnaissance». Cela se comprend très bien parce qu'il faut aussi, pour que la reconnaissance soit effective, que du côté d'Israël il y ait un certain nombre d'éléments. Mais comme la négociation n'a pas lieu, on se trouve dans une espèce de butoir, de voie sans issue.
La France, avec d'autres partenaires, essaye d'avoir une action sur trois fronts. D'une part, aux Nations unies pour voir si on ne peut pas trouver une résolution qui permette à tout le monde de se rassembler. Ensuite, nous sommes favorables à l'idée d'une conférence internationale parce que ce que l'on constate que les parties, c'est-à-dire Israël et la Palestine, discutent mais lorsqu'ils arrivent au bout de la discussion, historiquement, ils n'arrivent plus à se mettre d'accord ; il faut donc qu'il y ait un accompagnement international et c'est dans ce cadre que peut intervenir, le moment venu, la reconnaissance.
J'aurai l'occasion d'expliquer tout cela mais, je le répète pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, c'est au gouvernement et au président de la République à prendre, le moment venu, la décision.
Q - Le moment venu, ça ne veut pas dire forcément dans les jours ou les semaines qui suivront, qui suivraient, le vote d'une résolution par le Parlement français.
R - Non bien sûr, pas du tout nécessairement, c'est une question d'opportunité politique.
Q - Mais aujourd'hui, sur le terrain, dans la réalité des faits, beaucoup expliquent que l'État palestinien n'est plus possible. La colonisation israélienne a rendu la situation irréversible, avec 380.00 colons présents dans les territoires palestiniens...
R - C'est une des raisons pour lesquelles la colonisation, qui est jugée illégale en droit international, est critiquée et même condamnée par la communauté internationale. La solution est celle des deux États mais à partir du moment où il y a, sur le terrain, des avancées de la colonisation, il arrive à un moment - et ce moment peut se rapprocher - où, concrètement, c'est de plus en plus difficile. Donc, si on veut vraiment la paix, on a besoin des deux États et si on a besoin des deux États, il faut que les conditions pratiques soient remplies.
Q - Et vous l'auriez votée, comme député, cette résolution, Laurent Fabius ?
R - J'avais déposé, il y a quelques années, quand j'étais parlementaire, un projet qui était très voisin. Mais déjà à l'époque je savais, parce que je connais la Constitution, que c'est au gouvernement et au président de la République de prendre la décision. J'insiste.
(...)
Q - Vous avez déclaré, samedi dernier, qu'il y aura, parce que c'est une évidence, une reconnaissance de l'État palestinien par la France. La question c'est quand et comment ? Il faut que cette reconnaissance soit utile aux efforts pour sortir de l'impasse et contribuer à un règlement définitif du conflit.
Au regard de la montée des tensions sur place - attaque à la voiture bélier, annonces de nouvelles constructions, attentat sanglant dans une synagogue à Jérusalem et durcissement du ton des dirigeants politiques - et avec l'exacerbation de l'importation du conflit en France ces derniers mois, qu'est-ce qu'une reconnaissance unilatérale de l'État palestinien maintenant par la France changera concrètement sur le terrain ?
R - Sur le principe de la reconnaissance des deux États, ce principe est acquis depuis 1947 et c'est la constance de la politique française. Nous ne souhaitons pas que cette reconnaissance soit virtuelle, elle doit être réelle. Jusqu'à présent, c'était dans le cadre d'une négociation et la négociation est souhaitable.
Q - Quelle est la différence entre virtuelle et réelle ?
R - Si c'est un État sur le papier qui n'existe pas dans les faits, cela ne donnera rien aux Palestiniens.
Q - La France ne reconnaitrait pas la Palestine tant que sur le terrain il n'y aura rien de concret ?
R - Non, c'est de la dialectique. Si aujourd'hui, nous disons que nous reconnaissons l'État de Palestine sur le terrain, cela ne changera rien du tout. Or, les Palestiniens luttent à juste raison pour avoir un État et d'ailleurs les amis d'Israël doivent aussi souhaiter qu'il y ait un État palestinien pour permettre la sécurité.
Q - Imaginons que la proposition de Benoît Hamon de demander à l'exécutif de reconnaître l'État palestinien soit votée, obtienne la majorité à l'Assemblée. Le lendemain matin, que fait le gouvernement ?
R - C'est un signe politique sur ce que souhaiteront ceux qui auront voté mais, le gouvernement n'est pas lié c'est clair.
Q - J'ai bien compris mais qu'allez-vous faire, reconnaître ou bien attendre ?
R - Nous ferons trois choses : continuer à essayer d'obtenir une résolution unanime à l'ONU qui permette de définir les paramètres de la négociation. Nous sommes disposés à accueillir une conférence internationale avec les Arabes, les Européens, les Américains, les Jordaniens. Et, troisième point, il est souhaitable qu'il y ait une reconnaissance.
(...)./.
Reconnaissance de l’État palestinien : l'Assemblée examine une proposition de résolution
(…)
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mardi prochain, après ce débat, vous allez vous prononcer dans un vote concernant la reconnaissance de l’État de Palestine. Un tel débat suivi d’un scrutin est inhabituel : la reconnaissance d’un État est en effet une prérogative de l’exécutif et il est rare que le Parlement se saisisse d’une telle question. Mais la situation elle-même est exceptionnelle : l’interminable et dramatique conflit israélo-palestinien, l’attachement de la France envers les deux peuples, le désir de notre pays de voir la paix enfin s’instaurer là-bas expliquent votre volonté, même si elle s’exprime par des positions diverses et contradictoires, de contribuer à une solution politique.
Je commencerai sur ce sujet par une évidence : la France est l’amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.) et ceci devrait guider le fond et le ton de nos prises de position.
Mme Nicole Ameline. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Nos seuls ennemis dans cette région sont les extrémistes et les fanatiques qui, de chaque côté, entravent la marche vers la paix par ce que j’appellerai leur « spirale du talion ».
Dans cette recherche de la paix, notre pays, comme vous l’avez souligné, s’est depuis longtemps déclaré favorable à la solution des deux États. C’est le 29 novembre 1947, lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la création de deux États, que la France apporta sa voix décisive. Je rappelle le texte de la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, en 1947 : « les États indépendants arabe et juif (…) commenceront d’exister (…) le 1er octobre 1948 au plus tard ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) La France fut l’une des premières, après l’URSS et les États-Unis, à reconnaître le jeune État d’Israël, qui dut conquérir de haute lutte son droit à l’indépendance. Ce fut aussi, on l’a rappelé, la position du Général de Gaulle, de ses successeurs, quels qu’ils soient, et, par un discours resté fameux prononcé à la tribune de la Knesset en 1982, celle de François Mitterrand – dont je connaissais le fond de la position, cher ami (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.), qui traça la perspective en reconnaissant l’aspiration légitime du peuple palestinien à un État.
Au-delà des alternances politiques, c’est la position constante de la diplomatie française. Les votes récents de la France en faveur de la Palestine comme membre de l’UNESCO ou comme État observateur non-membre à l’ONU vont dans le même sens. C’est également la position du Président François Hollande et du Premier ministre Manuel Valls. Je réaffirme cette position à cette tribune. Notre conviction est que le règlement définitif du conflit et l’avènement d’une paix durable au Proche-Orient ne pourront être obtenus que par la coexistence de deux États souverains et indépendants. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) La conséquence logique de cette position est claire et a été très bien soulignée par M. Poniatowski. Je veux dont l’exprimer clairement : la France reconnaîtra l’État de Palestine. Cette reconnaissance, je l’ai dit, n’est pas une faveur, un passe-droit, c’est un droit. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. André Chassaigne. Très bien !
M. Meyer Habib. Avec le Hamas ?
Plusieurs députés du groupe SRC. Chut !
M. Laurent Fabius, ministre. La question qui se pose à nous n’est donc pas celle des principes, puisque celle-ci est tranchée, mais celle des modalités : quand et comment ?
M. Claude Goasguen. Voilà !
M. Pierre Lellouche. Il a découvert l’eau chaude !
M. Laurent Fabius, ministre. Plus largement, quelle méthode pour essayer d’aboutir concrètement à la paix ? C’est le vrai débat qu’appelle la proposition soumise à votre Assemblée.
Mesdames et messieurs les députés, personne ne peut nier que l’espoir de paix au Proche-Orient soit plus que jamais menacé. Nous partageons tous devant ce conflit un sentiment d’urgence. Nous mesurons la gravité de la situation. Nous savons les ravages que crée des deux côtés, et ailleurs, l’absence de perspective concrète de solution. Nous voyons l’étendue des drames humains et les atteintes, toujours plus inquiétantes, portées à la solution des deux Etats.
C’est d’ailleurs pourquoi, qu’on le veuille ou non, plus de cent trente pays dans le monde ont reconnu la Palestine. C’est aussi pourquoi, au cours des dernières semaines, plusieurs pays ou parlements voisins ont pris des initiatives voisines : la Suède, le Parlement de Grande-Bretagne, d’Irlande et, très récemment, celui d’Espagne. Ils ont voulu exprimer, selon des formes diverses, que face à l’impasse actuelle, ils refusaient l’attente, le fatalisme et l’inertie. Nous sommes nous-mêmes convaincus qu’il faut agir pour faire avancer la paix.
La paix, nous en connaissons depuis longtemps les contours. Elle doit reposer sur l’existence de deux États souverains et démocratiques vivant côte à côte en paix et en sécurité, sur la base des lignes de 1967 et avec Jérusalem pour capitale. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est d’ailleurs le paradoxe tragique du conflit israélo-palestinien et, d’une certaine façon, sa spécificité par rapport à d’autres conflits : les termes de sa résolution sont pour l’essentiel déjà connus, et cependant il apparaît depuis des décennies comme le symbole du conflit insoluble.
Car il est vrai que la méfiance est très forte entre les deux parties, même si les opinions publiques des deux côtés restent majoritairement favorables à la solution des deux États. La poursuite, jugée illégale en droit international, des implantations depuis les années 1970 dans les territoires occupés par Israël menace à un terme de plus en plus rapproché la viabilité d’un État palestinien, cependant que la position de certains groupes palestiniens comme le Hamas, qui appellent à la destruction d’Israël, rejettent les accords d’Oslo et exaltent la violence, est évidemment contraire à la volonté de solution et à nos choix. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Bref, face à une paix nécessaire et espérée, il faut constater que les obstacles se multiplient. Le processus de négociations entre les deux parties, que le secrétaire d’État américain Kerry a tenté avec ténacité de relancer en début d’année, apparaît à l’arrêt. L’explosion des violences provoque l’effroi, avec encore récemment l’attentat barbare commis contre des Israéliens dans une synagogue de Jérusalem et, cet été, la tragédie insupportable qui a frappé très cruellement les habitants de Gaza.
A Gaza précisément, rien n’est réglé, en Cisjordanie, à Jérusalem, partout la tension grandit : une étincelle peut, à chaque instant, conduire à l’embrasement général.
Cette situation dramatique, c’est à la fois l’expression et l’aboutissement de décennies de tensions, avec l’engagement périodique de négociations et l’échec périodique de ces mêmes négociations. À tel point qu’au fil des années, ce conflit est devenu une sorte de rocher de Sisyphe des relations internationales. À chaque reprise des discussions, l’espoir renaît mais, quand le but approche, quand chacun espère que les deux parties peuvent et vont conclure, la rechute, hélas, se produit. À Madrid, puis lors des accords d’Oslo, la paix a pu sembler à portée de main. Lors des sommets de Camp David, de Taba aussi, où l’issue paraissait proche. Mais la paix a fini toujours par se dérober, rendant chaque fois plus amères et plus brutales les désillusions de ceux qui croyaient en elle.
Face à cette impasse, c’est le devoir de la communauté internationale de réagir, en particulier le devoir de la France, puissance de paix, amie traditionnelle des Israéliens et des Palestiniens, même si nous savons que la tâche est et sera très difficile.
Mesdames et messieurs les députés, le texte qui vous est soumis « affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël ». Il « affirme que la solution des deux États, promise avec constance par la France et l’Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de l’État d’Israël ». Enfin, il « invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit ».
Certains parmi vous estiment que, pour des raisons constitutionnelles, ils ne peuvent prendre position favorable, ou position tout court, car cela empiéterait sur les pouvoirs de l’exécutif. Je veux être clair : ce qu’interdit l’article 34-1 de notre Constitution, c’est que le Parlement inscrive à l’ordre du jour des propositions de résolution contenant des « injonctions » à l’égard du Gouvernement. Or, la proposition examinée constitue – ce n’est pas une querelle sémantique –, non une « injonction », mais une « invitation » à l’adresse du Gouvernement. Il ne doit dont pas y avoir d’ambiguïté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Christian Estrosi. Quelle hypocrisie !
M. Laurent Fabius, ministre. Respecter le droit, ce n’est pas être hypocrite – c’est le contraire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Sur la question de la reconnaissance de l’État de Palestine, je veux être clair : le Parlement peut se prononcer, il va le faire, mais aux termes de notre Constitution, l’exécutif, et lui seul, est juge de l’opportunité politique. C’est clair, c’est net et c’est la Constitution.(Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Philippe Vigier. Que fait le Gouvernement ? Rien !
M. Laurent Fabius, ministre. Mesdames et messieurs les députés, comment servir le plus efficacement possible la cause de la paix ?
M. Laurent Fabius, ministre. La France défend depuis longtemps, très longtemps, l’idée que la reconnaissance de l’État de Palestine doit intervenir dans le cadre d’un règlement global et définitif du conflit négocié par les deux parties, pour une raison simple et forte : nous ne voulons pas d’une reconnaissance symbolique qui n’aboutirait qu’à un État virtuel. Nous voulons un État de Palestine réel. Après vingt-cinq armées de « processus de paix » sans résultat, il est clair que l’on ne peut pas se contenter d’une reconnaissance qui serait en trompe-l’œil et qui ne serait suivie d’aucun effet concret.
M. Jean-Luc Laurent et M. Claude Goasguen. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Mais l’objectif souhaitable d’une reconnaissance inscrite dans le cadre d’un accord global n’a de sens que si les négociations s’engagent effectivement, si elles avancent et si elles aboutissent.
M. Claude Goasguen. Eh voilà !
M. Pierre Lellouche. Retour à la case départ !
M. Laurent Fabius, ministre. En d’autres termes, nous soutenons la négociation, mais nous refusons que celle-ci devienne le mode de gestion d’un statu quo injuste et finalement intenable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)
Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Nous refusons ce qui serait un faux-semblant où les deux parties, livrées seules à elles-mêmes, ne parviendraient qu’à ressasser les mêmes questions sans qu’un cadre et un terme clairs soient donnés à la négociation.
M. Claude Goasguen. Relancez la négociation !
M. Laurent Fabius, ministre. Bref, la négociation accompagnant la reconnaissance ne peut pas devenir un moyen, voire le moyen d’éviter ou d’empêcher cette reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. André Chassaigne. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Dès lors, constatant le blocage actuel, nous pensons qu’il est légitime de retenir une approche permettant de donner une réelle et peut-être ultime chance à la négociation.
M. Claude Goasguen. Sophisme !
M. Laurent Fabius, ministre. Nous considérons qu’il est indispensable de sortir d’un face-à-face solitaire entre Israéliens et Palestiniens, méthode qui malheureusement a fait la preuve de son peu d’efficacité. Le constat historique de ces dernières décennies est en effet irrécusable : seules, ou même avec le concours très utile des États-Unis, les deux parties réussissent, difficilement, à discuter, mais elles ne parviennent jamais à conclure. Notamment – mais pas uniquement – pour des raisons de politique intérieure, elles ne parviennent pas à accomplir les derniers gestes, les dernières concessions qu’imposera nécessairement la signature d’un compromis.
Il faut donc essayer de faire évoluer cette méthode. Il faut un accompagnement, certains diront une pression de la communauté internationale pour aider les deux parties à faire le geste final indispensable et accomplir le pas ultime qui mènera à la paix. C’est ce à quoi le gouvernement français s’emploie en ce moment même aux Nations unies.
M. Alexis Bachelay. Excellent !
M. Laurent Fabius, ministre. Aux Nations unies, nous travaillons avec nos partenaires pour essayer, je dis bien essayer, de faire adopter une résolution du Conseil de sécurité en vue d’une relance et d’une conclusion des négociations, pour laquelle le terme de deux années est le plus souvent évoqué ; le Gouvernement peut reprendre ce chiffre à son compte.
Après tant d’efforts et d’échecs, le résultat est loin d’être assuré, mais nous ne voulons écarter aucune chance de paix. Les objectifs de cette résolution sont clairs : fixer un cap. Nous voulons éviter l’écueil de négociations sans fin, qui reprendraient depuis le départ des efforts déjà accomplis depuis des années. Des paramètres précis pour un règlement du conflit adoptés en amont par la communauté internationale fourniront la base des futures négociations. Nous devons aussi fixer un calendrier car sans cela, sans ce délai de deux ans que j’ai évoqué, comment convaincre qu’il ne s’agira pas d’un énième processus sans perspective réelle d’aboutir ?
Parallèlement à ces négociations aux Nations unies, la France plaide pour créer les conditions d’un effort collectif international au service de la paix. L’expérience nous enseigne, je l’ai souligné, que les Israéliens et les Palestiniens ne parviennent pas à aller jusqu’au bout, à conclure tout seuls. Les décisions à prendre sont si délicates qu’un accompagnement et un soutien internationaux sont indispensables, avec les États-Unis et au-delà même des États-Unis.
D’autres pays sont par ailleurs directement concernés par la solution du conflit. Je citerai seulement, même s’il y en a d’autres, l’Égypte ou la Jordanie, qui accueillent de nombreux réfugiés palestiniens depuis des décennies et qui, s’agissant de la Jordanie, exercent des responsabilités particulières sur les lieux saints.
La France souhaite entraîner dans cette démarche à la fois l’Union européenne, la Ligue arabe et l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, dont les États-Unis, dans une mobilisation collective en faveur de la paix au Proche-Orient. Une conférence internationale pourrait être organisée afin d’appuyer cette dynamique indispensable. La France est disposée à en prendre l’initiative. Dans cette négociation diplomatique, la reconnaissance de l’État palestinien constituera un instrument du règlement définitif du conflit, un levier au service de la paix.
Et si ces efforts échouent, dira-t-on ? Si cette ultime tentative de solution négociée n’aboutit pas ? Alors, il faudra que la France prenne ses responsabilités, en reconnaissant sans délai l’État de Palestine. Nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.)
Mesdames et messieurs les députés, la position du gouvernement français se veut à la fois équilibrée et positive. Il n’est pas question d’un statu quo qui, en réalité, menacerait la solution des deux États, il n’est pas question de céder sur la sécurité d’Israël et il n’est pas question d’importer chez nous le conflit israélo-palestinien.
M. Meyer Habib. C’est pourtant ce que nous faisons !
M. Pierre Lellouche. Quel cynisme !
M. Laurent Fabius, ministre. Dans notre esprit, les votes qui vont intervenir, je l’espère en tout cas, n’opposeront pas d’un côté ceux qui soutiennent les Palestiniens et de l’autre ceux qui soutiennent les Israéliens, car la reconnaissance de l’État de Palestine est nécessaire aussi pour assurer durablement le développement et la sécurité d’Israël.
M. Meyer Habib. Pas avec le Hamas !
M. Laurent Fabius, ministre. Elle devrait donc logiquement être soutenue par tous les amis d’Israël. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.) Mais, de façon symétrique, nous pensons qu’être un ami d’Israël n’est nullement, en aucun cas, être un ennemi de la Palestine. Le point de rencontre est la recherche de la paix qui implique de reconnaître l’État palestinien selon la méthode et au moment les plus efficaces pour servir cette paix. Sur ce chemin escarpé, nous ne ménageons pas et ne ménagerons nos efforts car nous savons comme vous, mesdames et messieurs les députés, que le temps est compté à celles et ceux qui, dans cette région et pour cette région, veulent sincèrement et profondément la paix. (Les députés des groupes SRC, écologiste et GDR se lèvent et applaudissent longuement.)