Le mariage des enfants dans le monde © WORLD Policy Analysis Center via www.GirlsNotBrides.org.
Le 21 novembre 2014, la troisième Commission des Nations unies a fait un premier pas vers l'adoption d’une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU appelant les gouvernements à interdire les mariages des enfants. Quelques 15 millions de fillettes sont mariées chaque année dans le monde et plus de 700 millions de jeunes filles ont été mariées de force avant l'âge de 18 ans.
D'ici 2050, si rien n'est fait pour inverser cette tendance, quelque 1,2 milliard de petites filles seront mariées de force, affirme l'ONG Girls not Brides[1].
La Troisième Commission de l’Assemblée Générale des Nations-Unies[2] traite des questions sociales, liées aux affaires humanitaires ou aux droits de l’homme, qui affectent la population partout dans le monde. Elle est présidée pendant la 68e session de l'Assemblée générale par S.E. M. Stephan Tavrov (Bulgarie).
Elle s'occupe des questions relatives au développement social telles que la promotion de la femme, la protection des enfants, les populations autochtones, le traitement des réfugiés, la protection des libertés fondamentales par l'élimination de la discrimination raciale et le droit à l'autodétermination.
La Commission traite aussi des questions liées à la jeunesse, la famille, le vieillissement, les personnes handicapées, la prévention du crime, la justice pénale ou encore le contrôle international des drogues.
Les mariages précoces sont un fléau. La Convention internationale des Droits de l’Enfant (1989)[3], n’interdit pas spécifiquement ces mariages mais précise en son article 34 que « les Etats parties s'engagent à protéger l'enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle ». Quant à la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, (1979) elle prévoit que les fiançailles et les mariages d'enfants n'ont pas d'effets juridiques et que toutes les mesures nécessaires, y compris des dispositions législatives, doivent être prises afin de fixer un âge minimal pour le mariage (art.16).
Selon l’Unicef : « les parents décident de marier leurs filles de bonne heure pour un certain nombre de raisons. Les familles pauvres peuvent considérer une fille jeune comme un fardeau économique et son mariage comme un indispensable moyen de survie pour la famille. Elles peuvent penser que le mariage d'enfant protège leur fille contre les dangers de la violence sexuelle ou, d'une façon plus générale, la confie aux bons soins d'un protecteur de sexe masculin. Le mariage d'enfant peut aussi être considéré comme un moyen d'éviter aux filles d'être rendues enceintes en dehors du mariage. On peut marier les filles de bonne heure pour s'assurer de leur docilité au sein de la famille de leur mari et de maximiser le nombre de leurs grossesses.
Le mariage précoce peut avoir des conséquences tout à fait préjudiciables pour ces enfants, parmi lesquelles :
Refus d'accès à l'éducation : une fois mariées, ces filles ne vont généralement pas à l'école.
Problèmes de santé : il s'agit notamment des grossesses prématurées, qui élèvent les taux de mortalité maternelle et infantile. Par ailleurs, les adolescentes sont plus vulnérables aux infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA.
Maltraitance : elle est fréquente dans les mariages d'enfants. En outre, il arrive souvent que les enfants qui refusent de se marier ou qui choisissent leur futur conjoint contre la volonté de leurs parents soient punis, voire deviennent les victimes de « crimes d'honneur » commis par leur famille. »
Le Niger, le Bangladesh et l'Inde sont les pays aux taux de mariages d'enfants les plus élevés mais de telles coutumes sont également très répandues dans les communautés d'immigrés installés dans les pays développés.
L’Assemblée générale considère que les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés (ci-après les précoces) sont des pratiques néfastes qui violent les droits de la personne, y portent atteinte et font échec à leur réalisation, sont liées à d’autres pratiques néfastes et violations des droits de l’homme qu’elles perpétuent, et ont des répercussions particulièrement préjudiciables sur les femmes et les filles. Les Etats ont l’obligation de promouvoir et de protéger les droits et les libertés fondamentales des femmes et des filles, et de prévenir et d’éliminer la pratique des mariages précoces.
La persistance de ces mariages a eu des incidences négatives sur la réalisation des objectifs 1 à 6 des objectifs du Millénaire pour le développement, et la concrétisation de leur vocation première, notamment dans les domaines de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes et des filles, de la réduction de la pauvreté, de l’éducation, de la mortalité maternelle et postinfantile, et de la santé, y compris la santé sexuelle et procréative.
La pauvreté et l’insécurité sont au nombre des causes profondes des mariages précoces et ces pratiques continuent d’être courantes dans les zones rurales et parmi les populations les plus pauvres, et l’atténuation immédiate et l’élimination à terme de l’extrême pauvreté doivent demeurer l’une des priorités de la communauté internationale. Ces mariages constituent en eux-mêmes un obstacle au développement et contribuent à perpétuer la pauvreté, et ce risque est encore accru dans les situations de conflit et de crise humanitaire. Ils sont intrinsèquement liés aux inégalités entre les sexes et aux normes et stéréotypes sexistes qui sont profondément enracinés, ainsi qu’aux pratiques, représentations et coutumes néfastes qui font obstacle à la pleine jouissance des droits de l’homme, et leur persistance fait courir aux enfants, en particulier aux filles, le risque d’être exposés à diverses formes de discrimination et de violence ou d’en être la cible tout au long de leur vie. Ils touchent tout particulièrement les filles ayant peu d’instruction, voire aucune, et ces pratiques constituent en elles-mêmes un obstacle aux possibilités d’éducation pour les filles et les jeunes femmes, en particulier pour celles qui sont contraintes de quitter l’école en raison de leur mariage ou de la naissance d’un enfant. Les possibilités d’éducation sont directement liées à l’autonomisation et à l’emploi des femmes et des filles et aux débouchés qui leur sont offerts, ainsi qu’à leur participation active au développement économique, social et culturel, à la gouvernance et à la prise de décisions.
Ils font peser une grave menace sur de multiples aspects de la santé physique et mentale des femmes et des filles, notamment leur santé sexuelle et procréative, en augmentant sensiblement le risque de grossesses précoces, fréquentes et non désirées, de mortalité et de morbidité maternelles et néonatales, de fistule obstétrique et d’infections transmises sexuellement, dont le VIH/sida, et en les exposant davantage à toutes les formes de violences. Toutes les filles et les femmes qui subissent ou risquent de subir ces pratiques doivent avoir accès sur un pied d’égalité à des services de qualité en matière d’éducation, de conseil, de logement et autres services sociaux, de santé psychologique, sexuelle et procréative, et de soins médicaux.
La résolution présentée par le Canada et la Zambie à la troisième Commission appelle les Etats à adopter des lois pour interdire les mariages des fillettes et lient cet état de fait à un problème de pauvreté et de développement.
I : le contenu de la résolution :
La résolution rappelle les textes qui concernent les droits des enfants dont voici les principaux :
- résolution AG 68/148 du 18 décembre 2013 sur les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés
- les résolutions AG 66/140 du 19 décembre 2011 et 68/146 du 18 décembre 2013 sur les filles et la résolution 67/144 du 20 décembre 2012 sur l’intensification de l’action menée pour éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes,
- ainsi que la résolution 24/23 du Conseil des droits de l’homme, en date du 27 septembre 2013, intitulée «renforcement des mesures visant à prévenir et éliminer les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés: défis, réalisations, bonnes pratiques et problèmes de mise en œuvre»[4], et toutes les autres résolutions antérieures relatives aux mariages d’enfants, aux mariages précoces et aux mariages forcés
- la Déclaration et le Programme d’action de Vienne[5], ainsi que le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement[6], la Déclaration et le Programme d’action de Pékin[7] et les textes issus de leurs conférences d’examen,
- le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme du 2 avril 2014 sur la prévention et l’élimination des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés[8] et du résumé du 18 juillet 2014 de la réunion-débat sur la prévention et l’élimination des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés, et le compte rendu de la réunion-débat qu’elle a tenue le 5 septembre 2014.
Selon la résolution de la troisième Commission intitulée « Mariages d’enfants, mariages précoces et mariages forcés » (A/C.3/69/L.23/Rev.1), approuvé par consensus, l’Assemblée générale exhorterait, si elle adopte la résolution adoptée par la troisième Commission, tous les États à adopter, à appliquer et à faire respecter des lois et des politiques visant à prévenir les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés et à y mettre un terme et à protéger ceux qui y sont exposés et à veiller à ce que les mariages ne puissent être contractés qu’avec le consentement libre, plein et éclairé des futurs époux.
Elle considère également qu’il est nécessaire d’examiner comme il convient la possibilité d’inclure cette cible dans le programme de développement pour l’après-2015 afin de faire progresser l’élimination de ces pratiques.
Les Etats sont priés d’élaborer et de mettre en œuvre, avec la participation des parties prenantes concernées, y compris les filles, les dignitaires religieux et les responsables locaux, la société civile, les associations de femmes et les groupes de défense des droits de la personne, les hommes et les garçons, et les organisations de jeunes, des mesures et des stratégies intégrées, globales et coordonnées en vue d’éliminer les mariages précoces et d’offrir une aide aux filles, aux adolescentes et aux femmes déjà mariées, notamment grâce au renforcement des systèmes de protection de l’enfance, à des mécanismes de protection tels que des centres d’accueil sûrs, en facilitant l’accès à la justice et par l’échange de bonnes pratiques.
Les États et la communauté internationale devraient instaurer un environnement dans lequel le bien-être des femmes et des filles est garanti, entre autres en concourant aux efforts faits pour éliminer l’extrême pauvreté, en les appuyant et en y participant. Investir en faveur des femmes et des filles et protéger leurs droits sont, entre autres, les meilleurs moyens de mettre fin à la pratique des mariages précoces.
Les États sont priés de promouvoir et de protéger le droit des femmes et des filles à l’éducation en mettant davantage l’accent sur une éducation de qualité, notamment des programmes de rattrapage scolaire et d’alphabétisation pour celles qui n’ont pas suivi un enseignement de type classique, tout en ayant conscience que l’éducation est l’un des meilleurs moyens de prévenir les mariages précoces, de mettre fin à ces pratiques et d’aider les femmes et les filles mariées à faire des choix en connaissance de cause concernant leur vie. Ils doivent également promouvoir et protéger les droits fondamentaux de toutes les femmes et de toutes les filles, notamment le droit de disposer de leur sexualité et de décider librement et de manière responsable de ce qui s’y rapporte, en particulier leur santé sexuelle et procréative, sans subir de contrainte, de discrimination ou de violence, ainsi qu’à adopter et à mettre en œuvre plus rapidement des lois, politiques et programmes qui protègent tous les droits de la personne et toutes les libertés fondamentales et permettent de les exercer, notamment les droits en matière de procréation, conformément aux dispositions du Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement[9], du Programme d’action de Pékin[10] et des textes issus de leurs conférences d’examen.
Les entités et organismes des Nations Unies concernés sont invitées à poursuivre leur collaboration avec les États Membres et à les aider à formuler et exécuter des stratégies et politiques à l’échelon national, régional et international en vue de prévenir et d’éliminer les mariages d’enfants, les mariages précoces et les mariages forcés, et à offrir une aide aux filles, aux adolescentes et aux femmes mariées.
Le texte se termine par la décision de l’Assemblée Générale « de poursuivre l’examen de la question des mariages d’enfants, des mariages précoces et des mariages forcés à sa soixante et onzième session au titre de la question intitulée «Promotion et protection des droits de l’enfant», en accordant l’attention voulue aux multiples aspects de la question et en tenant compte de son caractère mondial ».
II : les réserves envers la Résolution :
En présentant le texte, la Zambie a souligné que ces mariages étaient une menace pour la santé et la vie des jeunes filles et femmes.
Ce projet de résolution avait recueilli un très vaste soutien l’année dernière en 2013 et fait l’objet d’un grand nombre d’adhésions, a noté la représentante zambienne, « ce qui fait de ce projet de résolution un testament de la volonté de la communauté internationale à mettre fin à « cette pratique néfaste ».
Cette mesure votée à l'unanimité par les membres de la troisième commission chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, de l'Assemblée générale, doit être présentée le mois prochain au vote de l'Assemblée générale.
L’examen du texte contre les mariages précoces et forcés a cependant suscité des clivages[11]. Le projet de résolution exhorte notamment les gouvernements à promouvoir et à protéger les droits fondamentaux de toutes les femmes, notamment le droit à disposer de leur sexualité. Le Soudan s’est joint au consensus mais a exprimé des réserves sur le paragraphe évoquant le droit des femmes à disposer de leur sexualité.
La Grande-Bretagne, au nom d'une vingtaine de pays, a néanmoins déploré que la résolution ne s'attaque pas au problème du manque d'éducation sexuelle des jeunes.
«Fournir une éducation sexuelle aux adolescentes et aux jeunes filles en particulier permet de leur fournir les moyens de prendre des décisions responsables, positives à propos de leur sexualité. En l’absence d’une éducation sur la sexualité, elles sont vulnérables. Le manque de respect des droits sexuels des filles est au cœur du problème, et le groupe de pays lit la référence aux femmes comme recouvrant également les filles», a déclaré le représentant britannique de cette commission.
Le Koweït, au nom du Groupe de coopération du Golfe, s’est dit convaincu de la nécessité de mettre un terme aux mariages précoces, conformément aux préceptes de l’islam. Sa représentante a souligné l’importance de la souveraineté nationale dans la mise en œuvre de ce dispositif dans le cadre des instruments des droits de l’homme.
La République islamique d’Iran s’est jointe au consensus sur ce texte, mais a exprimé sa préoccupation sur l’attention que doit porter le coauteur principal du texte, le Canada, à la situation des femmes et filles, en particulier des femmes autochtones. Ensuite sa représentante a exprimé sa préoccupation devant le paragraphe 7 qui préjuge des discussions sur le programme de développement pour l’après-2015.
Le Saint-Siège a dit appuyer tous les efforts pour mettre fin aux mariages forcés. La délégation pense cependant que pour mettre terme à cette pratique nuisible, des obstacles tels que la pauvreté, l’insécurité et des coutumes traditionnelles doivent être surmontés, a déclaré l’observateur du Saint-Siège. En ce qui concerne les droits à la santé en matière de reproduction, le Saint-Siège réaffirme ses réserves.
[1] « Girls not Brides » est une union de 400 associations privées de 60 pays, travaillant pour faire reculer le mariage des enfants et développer le potentiel des filles.
[2] Pour mémoire, rappelons qu’il existe 6 grandes commissions au sein de l’Assemblée générale des Nations-Unies. Chaque Membre peut être représenté par une personne à chacune des grandes commissions, ainsi qu’à toute autre commission qui peut être créée et à laquelle tous les Membres ont le droit d’être représentés.
- Commission des questions de désarmement et de sécurité internationale (Première Commission)
- Commission économique et financière (Deuxième Commission)
- Commission des questions sociales, humanitaires et culturelles (Troisième Commission)
- Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission)
- Commission des questions administratives et budgétaires (Cinquième Commission)
- Commission des questions juridiques (Sixième Commission)
[3] traité international adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 20 novembre 1989
[4] Voir Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-huitième session, Supplément no53A (A/68/53/Add.1), chap. III
[5] A/CONF.157/24 (Part I), chap. II
[6] Rapport de la Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 5-13 septembre 1994 (publication des Nations Unies, numéro de vente : F.95.XIII.18), chap. I, résolution 1, annexe.
[7] Rapport de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, Beijing, 4-15 septembre 1995 (publication des Nations Unies, numéro de vente: F.96.IV.13), chap. I, résolution 1, annexes I et II.
[8] A/HRC/26/22 et Corr.1
[9] Rapport de la Conférence internationale sur la population et le développement, Le Caire, 5-13 septembre 1994 (publication des Nations Unies, numéro de vente : F.95.XIII.18), chap. I, résolution 1, annexe
[10] Rapport de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, Pékin, 4-15 septembre 1995 (publication des Nations Unies, numéro de vente: F.96.IV.13), chap. I, résolution 1, annexes I et II.
[11] Mais après l’adoption du texte, plusieurs des 66 pays qui, mercredi 19 novembre 2014, avaient soutenu un amendement soumis par Djibouti, au nom du Groupe des États d’Afrique, ont jugé inacceptable le libellé d’un paragraphe demandant aux États de concevoir des « programmes sur l’éducation sexuelle détaillée reposant sur des données factuelles pour tous les adolescents et les jeunes ».
Pour la Mauritanie, ce paragraphe est contraire à la législation, à la culture et aux traditions nationales qui sont basées sur la charia.
Parmi d’autres, le Nigeria a souligné que la tendance croissante à inclure certaines pratiques et modes de vie n’avait rien à voir avec les droits de l’homme et pourrait saper les droits à la dignité de la personne humaine.
La Fédération de Russie a jugé pour sa part contre-productif de refléter des priorités d’un certain nombre seulement de pays, notamment l’Union européenne et le Groupe des pays d’Amérique latine et des Caraïbes (GRULAC), et a souhaité une démarche plus constructive à l’avenir.
Les mêmes clivages sont apparus à propos des mariages précoces.
Observation (Philippe weckel)
Voir le discours de Mr. Stefan Harper au sommet de Dakar de la Francophonie